Un excellent article livré par FranceTvInfo, sur l'économie mondiale du plastique, et comment celle-ci évolue :
"Nous exhortons les pays développés à cesser d'expédier leurs déchets dans notre pays".
En Malaisie, le ministère de l'Environnement se lance dans une véritable traque contre les déchets venus de l'étranger. Dans un contexte diplomatique tendu, ce petit pays d'Asie du Sud-Est a annoncé, mardi 28 mai, qu'il allait renvoyer 3 000 tonnes de déchets en plastique dans leurs pays d'origine, notamment en France et aux Etats-Unis. "Je souhaite que, à l'échelle européenne, on se donne comme règle que nos déchets, on les recycle en Europe", a réagi, mardi 4 juin, le ministre français de la Transition écologique, François de Rugy, dans une vidéo du média en ligne Konbini News.
Voilà des années que le continent asiatique accueille les ordures d'une vingtaine de pays développés, dans des conditions environnementales catastrophiques. Vendredi 31 mai, Les Philippines ont renvoyé vers le Canada des tonnes de déchets reçues il y a plusieurs années et qui ont été au cœur d'un vif contentieux bilatéral. L'année dernière, la Chine, épicentre du recyclage international, a décidé de réduire drastiquement ses importations. Du jour au lendemain, les pays exportateurs doivent revoir tout le fonctionnement de leur industrie. Franceinfo revient sur les origines de cette crise mondiale du traitement des déchets.
Comment le recyclage des déchets était-il géré jusqu'ici ?
Si les pays industrialisés possèdent tous des centres de recyclage, ceux-ci ne sont pas capables pour autant d'absorber l'ensemble des détritus produits sur leur territoire. La gestion des déchets est donc devenue un business mondialisé. Car les pays industrialisés exportent une grande partie de leurs rebuts à l'étranger, et notamment en Asie du Sud-Est.
Sur des cargos, des tonnes de déchets sont quotidiennement envoyés vers la Chine, la Thaïlande ou encore la Malaisie. Un rapport de Greenpeace (en anglais) a recensé la liste des 21 plus grands exportateurs : les Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne forment le trio de tête, tandis que la France se place en 16e position.
Pendant des décennies, les pays de l'Ouest ont donc vendu une grande partie de leurs déchets à l'Asie, et principalement à la Chine. Jusqu'à l'année dernière, plus de la moitié des déchets importés dans le monde étaient envoyés dans ce pays. Une stratégie jusqu'ici gagnant-gagnant, puisque l'empire du Milieu manquait de plastique pour alimenter son industrie. "La Chine a besoin d'approvisionner ses usines pour fabriquer tous les objets qu'on importe de ce pays : l'électronique, les vêtements, les emballages…" analyse Jean-Charles Caudron, responsable du service recyclage à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) à franceinfo.
Pourquoi les plastiques sont-ils particulièrement exportés ?
Les pays exportateurs envoient toutes sortes de déchets à l'étranger : des cartons, des métaux, des textiles mais surtout énormément de plastique. En 2016, la France a ainsi exporté 700 000 tonnes de détritus en plastique dans le monde, d'après le ministère de la Transition écologique et solidaire. Parmi eux, il existe une multitude de catégories : "On parle abusivement du plastique au singulier" constate Jean-Claude Caudron. "Il y a pourtant des différences entre un PET, qui sert pour la fabrication des bouteilles, et un PVC, qu'on utilise beaucoup dans le bâtiment, pour les revêtements de sol et de murs, les fenêtres ou l'ameublement", détaille-t-il.
Or, ces plastiques ne se recyclent pas tous de la même manière. Certains sont très bon marché et ont donc une faible valeur ajoutée. Pour limiter les coûts de leur recyclage, les pays occidentaux préfèrent donc les envoyer à l'étranger. Moins la matière première a de valeur, plus elle va être recyclée loin, où la main-d'œuvre est moins chère.
Quel est le problème avec ces plastiques ?
Ce qui est problématique, c'est que les pays exportateurs n'envoient pas seulement des plastiques recyclables en Asie. Beaucoup d'arrivages sont constitués de mélanges de déchets non triés et en partie impossibles à transformer. "Les pays importateurs se retrouvent à acheter des mix des déchets, sans savoir de quoi ils sont composés. Leurs industriels doivent donc prendre en charge le coût du tri à l'arrivée et gérer le traitement de matières impures, c'est-à-dire mal triées", explique Jean-Charles Caudron à franceinfo. Résultat : ces plastiques impurs s'accumulent et entraînent des conséquences écologiques désastreuses sur le territoire. "Les études montrent que les trois quarts des déchets plastique chinois ne sont pas suffisamment retraités", pointe Agnès Le Rouzic, chargée de campagne Océans et Plastique chez Greenpeace. "Cela entraîne de graves problèmes de santé pour les communautés avoisinantes", ajoute-t-elle à franceinfo. Des tonnes de plastique sont déversées dans la mer et d'immenses îlots se forment dans le Pacifique, menaçant directement les écosystèmes.
Comment la crise a-t-elle commencé ?
En 2013, Pékin a commencé à s'attaquer de front au problème de la pollution. Avec son programme "Green Fence" ("clôture verte"), le pays a commencé à renforcer les contrôles douaniers sur les matières recyclées afin de bloquer les lots de déchets impurs ou non recyclables. Un durcissement qui a surpris les acteurs de l'industrie occidentaux, pris au dépourvu. Les importations chinoises de plastique ont peu à peu baissé, passant de de 600 000 tonnes par mois en 2016 à 30 000 tonnes par mois en 2018.
Mais en début d'année dernière, au nom de sa politique environnementale, le gouvernement chinois a franchi un cap. Pour ne plus être la première destination mondiale du recyclage, la Chine a carrément banni l'importation de plastiques et de plusieurs autres catégories de déchets qu'elle recyclait jusqu'alors. Quelque 24 types de déchets sont concernés, dont "certaines matières plastiques, les papiers non triés, certains matériaux textiles et les laitiers, scories, croûtes d'oxydes et autres déchets provenant de la fabrication du fer ou de l'acier" détaille le site actu-environnement. "Ça a été comme un tremblement de terre", explique Arnaud Brunet, directeur du Bureau international du recyclage (BIR) basé à Bruxelles. "On ne s'attendait pas à une mesure si radicale", commente Jean-Charles Caudron à franceinfo.
Tout le réseau de recyclage mondial a été redistribué. Beaucoup d'industriels chinois ont transféré leurs activités vers l'Asie du Sud-Est : au Vietman, en Thaïlande mais surtout en Malaisie. Le pays, qui compte une importante minorité chinoise, est devenu une destination de choix pour les industriels qui ont déménagé leurs activités de Chine. Les importations de plastique du pays ont triplé depuis 2016, pour atteindre 870 000 tonnes l'an dernier, selon des données officielles. Des tonnes de bouteilles, d'emballages, de bidons de lessive atterrissent dans des dépotoirs illégaux où l'on brûle le plastique en plein air. Les habitants se plaignent de l'odeur venant du recyclage des déchets et de l'incinération des matières qui ne peuvent pas être recyclées.
Quelles sont les conséquences concrètes pour les pays exportateurs ?
La fermeture du marché chinois a "créé une crise de pollution à l'échelle mondiale", commente Agnès Le Rouzic à franceinfo.
- Aux Etats-Unis. Pour le plus grand exportateur mondial de déchets, le durcissement des règles d'importation côté chinois a eu un impact direct. Faute d'infrastructures nationales suffisantes, les usines de recyclage sont saturées. Les frais de recyclage ont explosé et des centaines de municipalité ont tout simplement arrêté de recycler leurs déchets. La ville de Deltona en Floride, 90 000 habitants, a récemment suspendu son programme de recyclage municipal, constate le New-York Times (article en anglais). A Philadelphie, la moitié des déchets recyclables de ses 1,5 million d'habitants sont désormais incinérés. Soit 200 tonnes par jour.
Alors que les industriels du recyclage estiment souvent que les coûts sont trop élevés pour retraiter les déchets dans leur pays d'origine, certains ont eu recours aux décharges ou aux incinérateurs, faute de mieux.
- En Europe. Sur le continent européen, les flux se sont réorganisés, au bénéfice de l'industrie papetière. Et les pays tentent de s'arranger entre eux. "Le Royaume-Uni a saturé les usines allemandes par exemple", explique à actu-environnement Pascal Genneviève, président de Federec Papier-cartons.
En Allemagne, les prix des emballages vont sensiblement augmenter pour compenser cette nouvelle donne. "L'Allemagne a déjà le système de traitement des déchets le plus coûteux du monde. Maintenant, ça va être encore plus cher", a indiqué au Monde Eckhard Heuser, le directeur de la Fédération de l'industrie du lait.
L'onde de choc touche toutefois moins sévèrement la France, à en croire la Federec. "Nous bénéficions d'une industrie de recyclage développée et très active", indique son président, Jean-Philippe Carpentier. "Chaque année, 500 millions d'euros sont investis par 11 000 entreprises de la branche recyclage, présentes dans tous les secteurs : ferraille, plastique, textile, papier, carton...", détaille-t-il à franceinfo.
- En Australie. La ville d'Adelaïde, dans le sud du pays, expédiait l'essentiel de ses déchets en Chine. Elle retraite désormais sur place 80% de ses détritus, la plupart des déchets restants étant envoyé en Inde. "Au bout d'un an, nous en sentons toujours les effets mais nous n'avons pas encore avancé vers une solution", déplore Garth Lamb, président de l'association australienne de l'industrie du recyclage et du traitement des déchets.
Pourquoi ça crée des tensions entre importateurs et exportateurs ?
En Malaisie, où les usines clandestines se sont multipliées ces derniers mois, le gouvernement a décidé de durcir le ton. Pas moins de 60 conteneurs d'ordures importés illégalement seront retournés aux pays expéditeurs, dont les Etats-Unis, le Japon, la France, le Canada ou encore l'Arabie saoudite. "Ces conteneurs ont été introduits illégalement dans le pays avec de fausses déclarations, entre autres infractions, en violation patente de notre législation sur l'environnement", a déclaré mardi 28 mai la ministre de l'Environnement, Yeo Bee Yin.
Les relations sont particulièrement tendues avec le Canada. Quelque 103 conteneurs canadiens remplis de déchets non recyclables sont en effet conservés depuis 2013, dans des ports de Manille et de Subic, aux Philippines. Dans l'impossibilité de les réexpédier, le gouvernement philippin en a fait détruire une trentaine. Après plusieurs ultimatums, le président philippin, Rodrigo Duterte, a tranché fin mai, en ordonnant le départ immédiat de 69 conteneurs. "Baaaaaaaaa bye, comme on dit", a tweeté le ministre des Affaires étrangères philippin, Teodoro Locsin, avec une photo du cargo en partance.
Les Etats exportateurs vont décidément devoir d'autres solutions pour traiter leurs déchets. D'autant qu'en novembre 2018, Pékin a annoncé que 32 nouveaux types de déchets allaient être bannis de son territoire, allant des rebuts d'acier inoxydable au bois, aux pièces automobiles et de navires.
Quelles sont les solutions possibles pour endiguer le problème ?
Le gouvernement français s'est engagé à atteindre un taux de 100% de plastique recyclé en 2025, contre 20% aujourd'hui. Actuellement, "notre industrie n'utilise que 350 000 tonnes de déchets en plastique recyclés, sur 3,5 millions de tonnes de plastique générées chaque année", pointe Roland Marion, chef adjoint du service Produits et Efficacité matière à l'Ademe, à 20 Minutes.
Une "fausse bonne idée", selon Nathalie Gontard, chercheuse à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). "Le plastique recyclé est un paradoxe, dans le sens où l'on ne peut pas recycler le plastique à l'infini", explique-t-elle à franceinfo. "Il faut plutôt se passer de plastique quand on peut le faire, avec du verre ou du métal par exemple, qui, eux, sont vraiment recyclables".
Pour les associations, cette crise sans précédent prouve que les capacités de recyclage à travers le monde sont arrivées à saturation. "L'industrie projette une augmentation de la production de plastique de 40% d'ici les prochaines années : on n'aura pas le temps d'agrandir nos usines de traitement", déplore Agnès Le Rouzic, pour qui "la solution passe avant tout par la réduction de la production de déchets à la source". Quelque 300 millions de tonnes de plastique sont ainsi produites chaque année, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF).
Travailler en amont à changer les usages semble être la seule issue possible, comme le souligne Slate : "Plus tôt nous accepterons que le recyclage est économiquement impraticable, plus tôt nous pourrons faire des progrès en réglant le problème de la pollution plastique", affirme Jan Dell, la directrice de l'association Last Beach Cleanup.