lundi 24 novembre 2025

Comparaison des IA sur une question de logique mathématique

J'ai posé une question simple aux 4 IA principales, question dont la réponse me tracasse depuis longtemps :

Quand on marche sous la pluie, quelle est la vitesse optimale pour minimiser le fait d'être mouillé, selon l'inclinaison et la direction de la pluie ?

Que faut-il faire dans cette circonstance ?
Courir, marcher doucement ? S'arrêter ?
Le sens de la pluie (de face ou dans le dos) change t'il
quelque chose à la quantité d'eau ramassée ?

Et les réponses vont du pire au meilleur selon les IA interrogées. 
Je n'ai pas cherché à faire affiner ou amender la première réponse ou réponse spontanée d'une IA donnée, en en pointant les incohérences.

Dans le cas d'une grosse erreur de logique commise par l'IA en question, je ne fais figurer ici que l'erreur de logique elle-même, les détails ou commentaires de l'erreur n'ayant évidemment alors qu'un intérêt très limité ... 

Les phrases en bleu sont des commentaires personnels sur lesdites réponses reçues.

Le Chat de Mistral : 

J'ai peine à le dire, mais l'IA française se plante au test de manière magistrale, en donnant une réponse qui frôle le stupide :

La vitesse optimale est v=0 (marcher lentement ou s'arrêter), car le vent pousse la pluie dans ton dos.

ChatGPT : 

Pareil pour ChatGPT, avec une erreur plus subtile par ses nuances, mais une grosse erreur quand même.

Si vous courez vite, vous réduisez le temps d’exposition, mais vous augmentez la quantité de gouttes rencontrées frontalement, car vous « percutez » plus de pluie.

Copilot :

Copilot se plante comme les autres, mais rend de plus son erreur confuse et difficile à appréhender. En plus d'adopter un ton condescendant.

Dans le cas d’une pluie verticale, la solution est simple : il faut avancer le plus vite possible pour réduire le temps sous la pluie. En courant, on sera moins mouillé qu’en marchant.

Quand la pluie est inclinée et vient de face, aller plus vite signifie traverser plus de gouttes qui frappent le devant du corps. Il y a alors un compromis : avancer vite réduit l’eau reçue sur la tête, mais augmente celle reçue sur le devant.

Si la pluie vient de derrière, avancer plus vite permet de « fuir » les gouttes, donc là aussi, il vaut mieux accélérer.

Dans tous les cas, porter des vêtements imperméables ou un parapluie reste la meilleure solution pour rester sec.

Gemini 3 :

Mais Gemini 3 fait une réponse parfaite, simple et élégante, directement compréhensible. Et cette réponse est la seule exacte ! 

Imaginez votre trajet comme un couloir rempli de gouttes d'eau en suspension.

1 - L'eau qui vient de face (le volume balayé) :
 

Que vous marchiez ou que vous couriez, vous devez traverser ce couloir. Vous allez percuter exactement le même nombre de gouttes qui flottent devant vous pour aller du point A au point B. La vitesse ne change rien à ce volume d'eau total "frontal".

2 - L'eau qui vient du haut : 

C'est là que tout se joue. Pendant que vous traversez le couloir, le "plafond" vous arrose. Moins vous passez de temps dans le couloir, moins vous recevez d'eau sur la tête.

3 - L'exception de la pluie de dos

Dans les scénarios précédents [eaux de face ou du haut], courir minimise le temps d'exposition et vous garde plus au sec. Mais lorsque la pluie vient de derrière vous (portée par le vent), une
vitesse optimale très précise existe, et elle n'est pas forcément un sprint. L'objectif théorique idéal est alors le séchage relatif ; il consiste à annuler complètement la composante horizontale de la pluie par rapport à vous. Il faut marcher exactement à la même vitesse horizontale que la pluie [qui ainsi en théorie ne vous touche pas].


dimanche 16 novembre 2025

Bétharram

Bétharram, enquête sur des décennies d'abus

Accusée d’avoir abrité dans les années 1980 et 1990 un système de violences physiques et sexuelles restées impunies, l’institution catholique des Pyrénées n’en finit pas d’être au cœur de rebondissements judiciaires et médiatiques. Cette fois, l’affaire trouve un nouvel écho dans les récits d’anciens élèves, certains remontant aux années 1930.

Par Aurélie Jacques, 16 novembre 2025

Derrière les murs de Betharram.

D'un pas souple et rapide, Alain Esquerre déambule entre les tombes grises et uniformes du cimetière des Pères de Bétharram, petit bout de terrain champêtre posé sur la colline. Seuls les religieux de la congrégation y sont enterrés. Nombre d’entre eux ont officié en tant que directeurs ou professeurs dans la cité scolaire située en contrebas, et font l’objet d’un nombre incalculable de plaintes pour violences physiques et sexuelles. « Combien de secrets sous cette terre ! » lance le porte-parole du principal collectif de victimes.

Malgré ses 53 ans, Alain Esquerre connaît presque tous les défunts. Certains enseignaient lors de son passage dans l’institution béarnaise au début des années 1980 ; les autres, la grande majorité, il les a découverts à partir de témoignages d’anciens élèves. Voilà deux ans que cet ex-responsable d’un centre pour malvoyants a entrepris de recueillir les paroles des victimes de Bétharram. Au départ, il avait créé une page Facebook dédiée. Puis, face à l’ampleur prise par l’affaire, il s’est lancé dans l’écriture d’un livre, Le Silence de Bétharram (Michel Lafon). En ce mois de juillet, il est à la veille de déposer un nouveau lot de plaintes au tribunal de Pau, le septième depuis janvier.

Boutonné jusqu’au col, chemisette impeccable, il me guide dans les allées au milieu d’herbes folles, de fougères et de rosiers, égrenant les noms et les incriminations retenues. Ici, il s’arrête devant le médaillon mortuaire d’un prêtre en soutane, l’allure sportive, le front large sous la tonsure. « Le père Beñat Segure, commente-t-il. Treize plaintes, dont dix pour agressions sexuelles et viol. Des témoignages émergent aussi en Côte d’Ivoire, où il a réalisé des missions. » Là, le voici face au portrait d’un curé en civil, légèrement couperosé : « Papy Fraise ! » surnom donné jadis par les collégiens au père Silviet-Carricart, en raison de son teint rougeaud et de son air bonhomme. Au palmarès des récriminations, ce professeur de philosophie, promu directeur de l’établissement en 1976, détient le record des violences sexuelles. En 1998, à la suite d’une plainte pour viol sur mineur de 15 ans, il avait été placé en détention provisoire, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire par la cour d’appel de Pau, qui l’avait autorisé à quitter le territoire. Profitant de l’aubaine, il a trouvé refuge au Vatican. Deux ans plus tard, après une nouvelle plainte, il s’est jeté dans le Tibre. Au cimetière des Pères de Bétharram, sa tombe reste la plus fleurie.

Des traumatismes enfouis

Dès l’entrée, au milieu des odeurs de sous-bois, on tombe sur un calvaire de trois croix, très hautes – celle du Christ et, de part et d’autre, le Bon et le Mauvais Larron. Au fil de la visite, nous remontons le temps. Sous des stèles plus anciennes reposent des directeurs ayant exercé durant les précédentes décennies. Une plaque de granit noire rappelle l’existence de Jean Tipy (1922 – 2009). Décrit comme brutal, il est lui aussi accusé de violences physiques et d’agressions sexuelles. « Son mode opératoire consistait à prendre les enfants sur ses genoux pour se livrer à des attouchements », précise Alain Esquerre. L’ecclésiastique a pris la direction de l’établissement en 1959.

Jusqu’ici, l’affaire Bétharram semblait principalement porter sur les années 1980 et 1990 : deux tiers des plaintes se concentrent sur ces deux décennies. La polémique autour d’une éventuelle complaisance de François Bayrou, alors député puis ministre de l’Éducation nationale, a achevé de focaliser l’attention sur cette période, pouvant laisser penser que les faits étaient circonscrits dans le temps. Ce prisme a-t-il rétréci le champ de vision ? Pour éclairer les angles morts de plusieurs décennies d’une violence pérenne, peut-être structurelle, je me lance à la recherche d’autres générations, d’autres témoignages. Ceux que l’on n’a jusqu’ici jamais entendus. Ceux pour qui réveiller les fantômes d’un passé lointain est toujours une épreuve. Lorsque ce n’est pas la mémoire qui, inconsciemment, fait barrage.

Depuis qu’il a lancé ce collectif qui rassemble la liste interminable des « victimes de Bétharram », le téléphone d’Alain Esquerre n’arrête pas de sonner et son fichier ne cesse de s’enrichir de nouveaux témoignages. C’est lui qui, pour la première fois, me parle d’Alain Suberbielle, 76 ans, pensionnaire à Notre-Dame-de-Bétharram dans les années 1960. Je décide de lui parler. À quel âge y est-il entré ? Combien de temps y est-il resté ? Impossible pour lui de le préciser avec certitude, tant sa mémoire est embrumée. Il ne garde de cette période qu’un magma d’impressions vagues. Il est d’ailleurs toujours incapable de mentionner sans risque d’erreur les noms de ses camarades de classe ou de ses professeurs. « Si je suis parvenu à reconstituer une partie du puzzle, m’explique-t-il, c’est en grande partie grâce à l’aide d’Alain Esquerre. » Mais aussi sous le coup d’une brutale réminiscence de traumatismes enfouis.

Supplice du perron

Ce jour-là, il y a une petite dizaine d’années, Alain Suberbielle était seul au volant de sa voiture, en Bretagne. Déjà retraité de la mairie de Pau, où il avait notamment travaillé à la voirie, il roulait le long de la baie des Trépassés, dans le Finistère. Une tempête frappait la côte, d’immenses vagues soulevaient l’océan. Sur France Inter, un auteur dont il a oublié le nom évoque alors son passé d’enfant battu. « Sa manière d’en parler était si belle et poétique que mon cerveau, d’un coup, s’est ouvert », raconte-t-il. Des images, des sons, des sensations lui reviennent en cascade, dans un fracas de souvenirs douloureux. L’ombre de Bétharram surgit avec une netteté stupéfiante. Il revoit le perron donnant sur la cour de récréation, sa balustrade de briques et, dans un éclair, un objet : le martinet, dont la direction usait et abusait. Envahi par l’émotion, Alain Suberbielle se range sur le bas-côté, coupe le moteur. Les sanglots montent. Sept jours durant, il n’aura de cesse de pleurer. « Je comprenais enfin pourquoi j’avais passé ma vie à avoir peur, la tête baissée, n’osant affronter personne. »

Le supplice du perron, Alain Suberbielle consent à me le raconter après des jours d’hésitations. Un premier rendez-vous est pris, qui est aussitôt annulé. « Je ne suis pas très en forme aujourd’hui », s’excuse-t-il au téléphone. Cependant, d’une voix précipitée, comme pour s’en débarrasser, il livre quelques bribes de son histoire. De fil en aiguille, il se ragaillardit, et accepte que l’on se rencontre. Vu l’heure avancée, je lui propose de déjeuner ensemble. « Pas dans un lieu public, insiste-t-il, j’ai peur de m’effondrer. »

Nous voilà à Bielle, un village de trois cents âmes perdu au fond de la vallée d’Ossau, dans les contreforts pyrénéens. C’est ici, dans le jardin d’une amie, qu’il a stationné sa camionnette pour quelques mois. « Voici ma maison », présente-t-il devant la portière ouverte laissant voir, à l’intérieur, un fourbi savamment agencé. T-shirt kaki, jeans, la mise simple, les cheveux coupés à ras, il a des gestes rapides et, dans le regard fatigué, une infinie bonté. J’avais apporté des bocaux de plats cuisinés mais il a déjà tout prévu. Sur une table dressée sous les frondaisons, il me sert un magret de canard fumé par ses soins, bientôt suivi de délicieux bars grillés sur un barbecue de fortune. Un festin bucolique au cours duquel l’homme, mélange de joie de vivre et d’une insondable tristesse, me confie son histoire.

Le jeune garçon n’a pas dix ans lorsque ses parents le mettent en pension dans l’institution béarnaise réputée pour son enseignement rigoriste et élitiste, promesse pour les bons élèves de carrières prestigieuses. Et pour les plus récalcitrants, d’une remise dans le rang, sévère. Son père est un militaire revenu d’Indochine et d’Algérie auréolé de gloire ; sa mère, une femme d’un foyer de peu d’amour. « On avait tout le confort matériel mais il manquait l’essentiel. » La famille, qui compte également trois filles, habite à seulement cinq kilomètres de l’école. Pourquoi ses parents l’ont-ils placé en pensionnat ? « Je suppose que c’était pour faire de moi quelqu’un de bien... » dit-il, encore dubitatif. Mauvais élève, il est souvent collé. Le week-end, il reste à Bétharram « pour faire des lignes ». Là-bas, la violence frappe à chaque coin de porte – « dès que les curés tapaient, je me planquais ». Les semaines entières s’écoulent dans le silence – celui imposé aux enfants une grande partie de la journée – et dans la peur. Pour lui, elle devenait panique à l’heure des ablutions matinales. Dans le dortoir, au fond de la longue chambrée de cinquante lits, devant la rangée de lavabos, il fallait se mettre nu. « J’ignore encore pourquoi, ça me terrorisait. Il y avait une ambiance malsaine », se souvient-il avant de marquer une pause. Il prend le temps de rassembler ses forces avant de livrer ce qui l’a meurtri à jamais.

Le grenier derrière l’église

Un jour, le préfet de discipline, sorte de surveillant général, lui tombe dessus. Le père Eyhéramendy le gifle, lui tire les cheveux aux tempes, là où ça fait le plus mal, l’attrape par les joues et le soulève de sa chaise, tandis qu’un de ses acolytes, le père Etchepare, le martèle de questions. Ils l’accusent d’avoir volé des crayons. L’enfant proteste de son innocence, en vain. Tous les moyens sont bons pour le faire plier. Pendant des jours, les deux ecclésiastiques le contraignent à rester sur le perron du collège, au vu de tout le monde, la tête contre le mur, les bras en croix, une pile de livres dans chaque main. Les bras lui brûlent, autant que l’humiliation. Dès qu’il flanche, il reçoit par derrière un soufflet d’une violence inouïe. « Il fallait voir les grosses mains calleuses d’Eyhéramendy, un joueur de pelote basque à main nue, c’était du marbre... » témoigne Alain Suberbielle, la terreur encore au fond des yeux. Plusieurs jours passent, le garçonnet finit par céder d’épuisement. Il ferait n’importe quoi pour que ça s’arrête. Il avoue le larcin qu’il n’a pas commis.

La sanction tombe : cinquante coups de fouet. Quarante-neuf en réalité, au cas où ses tortionnaires se tromperaient dans le décompte, lui précisent-ils, singeant une forme de mansuétude au cœur de l’arbitraire et du sadisme. Complètement nu, l’enfant est maintenu sur les genoux du premier prêtre, qui lui frappe les fesses avec une barre de bambou aux branches effilées à leurs extrémités, tandis que le second compte les coups. Le martyre est interminable, l’enfant se relève du châtiment, sanguinolent et psychologiquement anéanti. Mais le plus terrible pour lui viendra ensuite, du sentiment d’abandon et de solitude extrême, faute du moindre geste de réconfort de ses parents. Son père, venu le chercher, lui administre une « énorme rouste ». À la maison, sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère lui intiment l’ordre de leur montrer ses fesses meurtries, avant de l’envoyer dans sa chambre séance tenante. Personne pour le prendre dans ses bras. « J’avais dix ans... s’indigne-t-il plus de soixante ans plus tard, en pleurs. Merde ! Je demandais juste un peu d’amour. »

La séquence est à présent parfaitement claire dans son esprit. Ce qui l’est moins, c’est ce qui s’est passé quelque temps plus tôt. Il se revoit dans une sorte de grenier derrière l’église, une grande salle encombrée de statues de plâtres. Un prêtre l’amenait là. Le reste est flou et Alain Suberbielle prie pour que ça le reste. « Je supplie mon cerveau de ne plus rien me dire... » Et puis, il y a d’autres choses encore, sans doute plus douloureuses, dont il se souvient mais qu’il jure de ne confier à personne. « À personne, répète-t-il. Pas même à un docteur. J’ai tellement honte... »

Apostasie

Depuis longtemps déjà, il fuit la société des hommes. Passionné de dessin et de photo, il se ressource au contact des animaux sauvages. Voilà quelques années, ne parvenant plus à payer ses factures, il a résilié son contrat de location, donné les outils avec lesquels il travaillait le bois, et s’est délesté de tout le superflu. « Depuis que j’ai tout plaqué, je me sens libre ! » Avec son van, il franchit souvent les Pyrénées, en direction de l’Espagne. Et loge à la belle étoile une partie de l’année. Là-bas, il a vu à plusieurs reprises des ours et des loups. Tout est consigné dans un carnet de voyage, mélange délicat de récits, de dessins, de collages de plumes ou de fleurs, à la façon d’un herbier rousseauiste. « Je me soigne comme ça, je suis hyper heureux », assure-t-il. Un jour qu’il lisait dans sa camionnette, la porte ouverte, il aperçoit une forme tapie dans l’ombre. En éteignant la lumière, il réalise que c’est un renard qui est là depuis plusieurs minutes, à le regarder lire. « Pour moi, ça vaut dix séances chez le psy. »

Reste une haine inextinguible envers l’institution Bétharram. « Comment expliquer ce ramassis de personnages abjects ? interroge-t-il. Pourquoi un tel nombre au mètre carré ? » Au-delà du collège, son ressentiment se porte contre l’église catholique, responsable de « milliers de vies bousillées ». En 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), présidée par l’ancien vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, avait conclu à un « phénomène massif et systémique » avec environ 330 000 victimes depuis 1950. Ce qui fait de l’institution ecclésiastique le milieu le plus propice aux violences sexuelles après le cadre familial.

En avril dernier, Alain Suberbielle décide d’écrire directement à l’évêque de Bayonne, Marc Aillet. « Tous ces actes (...) sur de jeunes enfants me sont insupportables », peut-on lire, avant de faire état de l’épreuve que furent ses années de collège et de dénoncer un système « plus que moyenâgeux ». Sans entrer dans plus de détails, il invite le prélat à prendre connaissance de sa plainte déposée à la gendarmerie de Nay (Pyrénées-Atlantiques) et demande, « pour toutes ces raisons en totale opposition au message d’amour que la religion catholique est censée prôner », à ce que son nom soit radié du registre des baptêmes. Si cet « acte d’apostasie » lui était refusé, prévient-il, il utiliserait tous les recours nécessaires pour faire respecter sa volonté. Pour toute réponse, il recevra un courrier du chancelier du diocèse, distant, administratif, hors de propos, dans lequel ce dernier prend acte de sa volonté et lui précise qu’en conséquence, les sacrements lui seront désormais refusés et qu’à sa mort, il ne pourra bénéficier d’obsèques religieuses. Pour ce qui est de Bétharram, des sévices évoqués et de la souffrance endurée : silence radio. Pas le plus petit mot de compassion. Rien.

« Matraquez-le ! »

Thierry Olmos, 67 ans, s’est lui aussi posé la question de l’apostasie. Adolescent, il saccageait des églises à coup d’extincteurs, buvait le vin de la communion, renversait les prie-Dieu et jouait de l’orgue comme un forcené. Aujourd’hui assagi, il garde intacte sa colère anticléricale. Il me reçoit à son domicile, une maison isolée dans la campagne de Barinque, au nord de Pau, en compagnie d’un ancien camarade de collège, Jean-Pierre Cazade. C’est la première fois depuis plus de cinquante ans qu’ils se revoient. Ils ont été scolarisés à Bétharram peu de temps après Alain Suberbielle. Une photo de classe de cinquième, datant de 1971, les montrent côte-à-côte. Le petit Thierry, vêtu d’un col roulé sombre, a dans la moue un air de défi. C’est alors un enfant révolté, épris de justice, collectionnant les disques de rock et les mauvaises notes, sauf en français. Leader dans l’âme, il a un profil que l’institution s’emploie à mater. C’est, du reste, ce qu’avait demandé son père au directeur de l’établissement : « Allez-y, matraquez-le ! » avait intimé ce plombier à la main leste dès le premier jour d’école. À côté de lui sur le cliché en noir et blanc, Jean-Pierre, les traits fins et doux, offre un visage d’ange. D’un tempérament tranquille, il est plutôt suiveur. Sa mère commerçante et son père mécanicien, préoccupés de ses mauvais résultats, se saignent aux quatre veines pour lui donner le meilleur en matière d’éducation, en l’occurrence Notre-Dame-de-Bétharram.

À Barinque, les deux anciens pensionnaires exhument le passé. Entre eux, la discussion file. Ils se souviennent du froid dans les bâtiments lugubres, des salles austères ornées de crucifix, des douches à l’eau glacée une fois par semaine et des coups de sifflet. Au premier coup de sifflet : « Mouillez-vous ! » Au deuxième : « Savonnez-vous ! » Au troisième : « Rincez-vous ! » Plus tard, en comparaison, le service militaire leur semblera une promenade de santé. Pour eux, Bétharram, c’était une « maison de correction ». Ils ont encore dans les narines les effluves écœurantes du réfectoire au sous-sol, la purée au goût de lessive et les remontées d’égoûts. Autour des longues tables de marbre, chacun avait sa place attitrée à l’année. Il fallait parfois se battre pour obtenir sa part du repas, la loi du plus fort s’exerçant aussi entre élèves. Ils se remémorent les colles du jeudi, les taloches, les punitions sur le perron, face contre le mur. Ils revoient le martinet cinglant du frère Alexandre, un petit basque musculeux qui semait la terreur. « Avec le père Eyhéramendy, c’étaient les plus costauds. » Dans cette jungle, les violences s’exercent en priorité sur les plus jeunes du primaire et du collège. Au lycée, elles cessaient.

C’était l’époque qui voulait ça, justifient certains. Dans les foyers, nombre de familles possédaient un martinet. La différence, essentielle, c’est qu’à Bétharram, les coups pleuvent sans raison. C’est le règne de l’arbitraire. Les seuls épargnés sont les très bons élèves et les enfants issus de la bourgeoisie de Lourdes (Hautes-Pyrénées), en cheville avec le clergé. « Eux, on ne les touchait pas », souligne Jean-Pierre Cazade, amer à l’idée que le simple fait d’éternuer à l’étude en raison d’un rhume des foins lui avait valu deux baffes et des heures passées sur le perron. « La violence était permanente, ajoute Thierry Olmos. On était constamment sur le qui-vive. »

L’infirmerie

Un jour qu’il descend au réfectoire, il sent son crâne brutalement martelé d’objets métalliques. C’était le frère Alexandre qui, passant derrière lui, en avait profité pour le frapper avec son énorme trousseau de clefs, sans raison. Le garçonnet gardera contusions et ecchymoses plusieurs jours durant. Une autre fois, c’est le professeur de mathématiques, un laïc, Maurice Pericou, qui le passe à tabac. « Olmos, tu restes là », lui dit l’enseignant tandis que ses camarades sortent en récréation. Sans avoir rien à se reprocher, sinon de mauvaises notes, l’enfant comprend tout de suite ce qui va lui arriver. « Pendant toute la durée de la récréation, il m’a frappé... dix ou quinze minutes de baffes ininterrompues. »

Ces agressions permanentes l’ont marqué au fer rouge, le laissant réfractaire à tout autoritarisme. « J’étais un gamin gentil, un peu naïf, ils m’ont rendu con et teigneux », précise Thierry Olmos, qui fut gérant d’un bar de concert avant de travailler à la mairie de Pau comme fonctionnaire territorial. Jean-Pierre Cazade, gendarme de montagne avant de tenir un magasin de matériel de ski, confesse avoir beaucoup de difficultés à garder son calme dans des situations de conflit, même mineures. « Je suis devenu impulsif, irritable. » À 67 ans, il lui est toujours impossible de faire une valise. Le dimanche soir, lorsqu’il fallait refaire son sac pour la semaine, c’était le désespoir. Au cours des quarante-cinq minutes de trajet qu’il parcourait depuis son village d’Oloron-Sainte-Marie, à travers une route de montagne tortueuse, il comptait à rebours les communes qui le séparaient de Bétharram. « Plus que six, plus que cinq, plus que quatre... » Quand la voiture débouchait dans la dernière ligne droite et, qu’apparaissait la masse hostile des bâtiments aux toits d’ardoises surmontés d’un chemin de croix, il ne lui restait plus qu’à compter les jours qui le séparaient du samedi suivant.

À la récréation, les élèves discutent de tout, de rien, mais jamais de ce qu’ils vivent intimement. Ou alors, s’agissant des brimades, sur le ton de la rigolade. « Quand un camarade était molesté, on disait : “Il a mangé”, se souvient Jean-Pierre Cazade. On faisait partie de ce système, c’était comme une secte où la violence est institutionnalisée. » Lui-même n’a réalisé que récemment que ce qu’il a vécu n’était pas normal. Les abus d’ordre sexuel, en revanche, personne n’en parlait.

L’épisode de l’infirmerie, par exemple. Thierry Olmos n’en avait rien dit à son ancien ami. Pour quelles raisons y était-il allé ? Il ne sait plus très bien, le souvenir est brouillé. Une fièvre, sans doute. Il était en septième, l’équivalent du CM2. Il se revoit, alité dans un petit dortoir attenant. Le père économe entre et propose à l’enfant des bandes dessinées – ouvrages prohibés dans l’établissement. Le religieux s’approche du lit et soudain, glisse une main sous les draps. « Est-ce qu’il t’arrive d’avoir des gouttes qui tombent de ton sexe ? demande-t-il. Des écoulements blancs ? » Le petit Thierry ne comprend pas. D’instinct, il repousse la main baladeuse.

L’alcool pour oublier

Un autre camarade de classe qui préfère rester anonyme, plus timoré, plus introverti, n’a pas eu les mêmes réflexes salvateurs, ni les mêmes ressources. De ce qu’il subira, il n’en parlera à aucun de ses amis. C’est seulement à l’âge adulte qu’il aura le courage de porter plainte, mais celle-ci ne sera suivie d’aucun effet, son agresseur étant alors déjà mort. Au téléphone, lors de la prise de contact, je l’interroge. Pour quel type de faits exactement avait-il porté plainte ? « Pour ce qui était planifié à Bétharram, à savoir sucer les prêtres », lâche-t-il tout à trac, la voix lourde de colère. Rendez-vous est pris pour un entretien. Mais peu de temps avant le jour J, l’homme se rétracte. « Pour de multiples raisons, je ne donnerai pas suite », indique-t-il dans un message laconique mais résolu.

En mars dernier, Thierry Olmos a porté plainte, d’une part contre l’établissement pour « attouchements et violence », et d’autre part contre Maurice Pericou, pour « violence sur mineur de 15 ans par un ascendant ou une personne ayant autorité ». Mais ce dernier est mort peu après. Lorsqu’il s’est rendu au tribunal de Pau, en compagnie d’autres plaignants, Thierry Olmos a été stupéfait de voir, parmi eux, un nombre important de personnes en proie à des addictions. Son meilleur ami de l’époque est mort, dans sa vingtaine, d’une overdose. Le plus souvent, c’est l’alcool qui sert de refuge. C’était le cas d’un berger rencontré par hasard il y a quelques années, « un gaillard des montagnes, se souvient-il, un homme de peu de mots, fruste et alcoolique ». La conversation s’était engagée sur les années de collège. Les deux hommes avaient réalisé qu’ils avaient été scolarisés à Bétharram, à quelques années d’intervalles. Le montagnard, à demi-mots, s’était confié sur les viols qu’il y avait subis, avant de fondre en larmes. Il s’est depuis donné la mort d’un coup de fusil.

Dans l’affaire Bétharram, les chiffres ne disent cependant pas grand-chose. Le collectif d’Alain Esquerre a recensé deux cent dix-sept plaintes, mais leur nombre total reste étrangement inconnu. Au tribunal de Pau, le procureur de la République, Rodolphe Jarry, censé avoir la haute main sur ce dossier retentissant, est aux abonnés absents. Après plusieurs tentatives pour le joindre, c’est son adjointe Orlane Yaouanq qui réagit. « Il est impossible de dénombrer avec précision les plaintes déposées, certaines d’entre elles l’ayant été auprès de services externes, de gendarmeries et de commissariats d’autres régions », justifie-t-elle.

À ce stade, une seule personne, un surveillant laïc, a été mis en examen et placé en détention provisoire pour « viol par personne ayant autorité » et « agression sexuelle sur mineur de 15 ans », des faits remontant à la période 1991 - 1994 et 2004. Les autres exactions seraient frappées de prescription, quand ce n’est pas le destin lui-même qui fait obstacle à la justice, la mort d’un criminel présumé entraînant automatiquement l’extinction des poursuites contre lui. Afin de pallier ces écueils, la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus, ordre franco-italien comptant deux cent soixante prêtres dans le monde, a mis en place une commission d’enquête chargée d’identifier les victimes en vue de les indemniser. Pour assurer les réparations, la vente de biens immobiliers est envisagée, le barème des compensations financières devant être fixé d’ici la fin de l’année. Au-delà de cet aspect, il y a toutes ces vies brisées qui ne trouveront jamais de traduction judiciaire. Entre les victimes qui ne parviennent pas à parler, celles, trop âgées ou trop isolées, qui préfèrent refouler leur douleur, l’ensemble du paysage reste insaisissable. Sans compter les disparus.

En avril dernier, Alain Esquerre reçoit une lettre manuscrite. Volontaire et concise dans son expression, une femme de 88 ans tient à se manifester au nom de ses deux frères défunts, jadis pensionnaires de l’établissement. « N’oublions pas ceux qui, avant la guerre, ont fréquenté cet établissement, écrit-elle. Entre 1931 et 1937, mes deux frères (...) y ont passé de longs mois. Leur vie d’adulte en a été douloureusement marquée. » Un témoignage unique, preuve que la violence à Bétharram remonte à bien plus loin que les années 1960. Sur la lettre ne figure qu’une adresse postale. Aucun numéro de téléphone, encore moins d’adresse mail. Je me résous donc à aller sonner à sa porte.

« Justice pour les enfants »

La commune de Carbon-Blanc, en périphérie de Bordeaux, offre une suite de pavillons résidentiels des années 1950. Dans son salon, Josette Disclos, la silhouette frêle, les yeux clairs sous de fines lunettes, s’anime d’une belle vivacité. Souvent, elle part en éclat de rire. « Vous allez mettre mon nom dans votre article ? » s’enquiert-elle. Je lui réponds par l’affirmative, si elle est d’accord bien sûr. « Bon alors écrivez-le, mais en tout petit ! » Elle se décrit comme un peu rebelle, du genre « à brandir des drapeaux ». Lorsqu’éclate l’affaire Bétharram, elle suit attentivement les reportages. Devant son poste de télévision, elle tempête : « On ne parle que des quinquagénaires, jamais des autres victimes ! Comme si les sévices n’avaient concerné qu’une seule génération. »

Josette Disclos en a l’intime conviction, cinquante ans plus tôt, c’était déjà la même chose. Ses frères, Roger et Robert, ses demi-frères plus exactement, avaient dix-neuf et dix-sept ans de plus qu’elle. L’un, sorti des Beaux-Arts, était professeur de dessin, l’autre s’était engagé dans la Marine à Toulon (Var). Leur père, marié et divorcé trois fois, avait eu cinq enfants. « Il n’en a élevé aucun, ironise-t-elle, c’était facile, les femmes étaient là pour ça. » Après son premier divorce, cet homme, recruté par le chausseur Heyrault pour créer des magasins à travers la France, se retrouve un temps avec les deux garçons à sa charge. Il s’empresse de les inscrire comme pensionnaires à Bétharram, près de Pau où il travaille alors. Les deux frères y resteront de septembre à juin, sans aucune sortie le week-end.

Ce qu’ils y ont vécu, ils l’ont emporté avec eux dans la tombe. Mais l’aîné, Roger, un homme droit, volontaire, aussi responsable que son géniteur était inconséquent – selon sa demi-sœur – s’est détourné de la religion. Lui, qui faisait figure de père pour son frère et sa sœur, a refusé d’avoir une descendance. Une décision irrévocable, malgré l’insistance de son épouse, qui finit par demander le divorce. À la fin de sa vie, il s’en ouvrira à sa petite sœur Josette : « Ma hantise était qu’il m’arrive quelque chose et que mes enfants orphelins connaissent ce que j’ai vécu. » À savoir la défection du père, les rigueurs et la violence du pensionnat. À Bétharram, qu’a-t-il bien pu subir ? Faute de confidences explicites de sa part, Josette Disclos en est réduite à des spéculations : le mépris, l’humiliation, les châtiments corporels, le sadisme. A-t-il été victime d’agressions sexuelles ? Elle l’ignore et préfère ne pas s’aventurer plus loin.

En cette fin d’après-midi de juillet, la cité scolaire, rebaptisée Le Beau Rameau en 2009, est déserte. Le carillon de 17 heures résonne dans le vide. Un couple de touristes néerlandais, qui a fait le crochet depuis Lourdes, se baguenaude le long du Gave de Pau. Le temps où six cents pensionnaires affluaient de toute la région pour bénéficier d’un enseignement renommé semble loin. Aujourd’hui, ils ne sont plus que vingt-six. La piscine a été rebouchée, les paniers des terrains de basket sont rouillés, des préfabriqués, érigés dans les années 1970, laissés à l’abandon. Une ancienne salle d’expérimentation de physique-chimie a été taguée à la bombe. En grosses lettres, à la place du tableau noir, derrière le bureau de l’enseignant : « Justice pour les enfants ».

Attenant à la chapelle, le presbytère haut de trois étages bruisse d’une faible activité. C’est le logement des Bétharramites, et leur service administratif. Je pousse une porte un peu au hasard. À ma grande surprise, elle s’ouvre. J’accède à un long couloir qui déroule une enfilade de portes. « Vicaire régional » est inscrit sur l’une d’elles. Je frappe, une voix forte m’invite à entrer. Me voilà nez à nez avec le responsable local de la congrégation, Jean-Marie Ruspil, chemisette beige, visage mat encadré de cheveux blancs. D’un regard impatient, il m’interroge : « Oui ? » Je me présente et demande si je peux lui poser quelques questions dans le cadre de mon reportage. Agacé, il me coupe : « Il y a encore lieu de faire des articles, vraiment ? » Sous l’accent basque pointe un soupçon d’agressivité. Je n’ai pas le temps de lui fournir plus d’explications qu’il me raccompagne à la porte. « Je ne réponds pas à la presse, se raidit-il. Il faut vous adresser à la commission d’enquête. » Je lui tends la main, il se radoucit. Et referme aussitôt sa porte sur lui et les secrets de Notre-Dame-de-Bétharram.

Paris 13 Novembre 2015

Des reconstitutions impressionnantes par les services du Monde :











IA et emploi

Un bon article sur les antagonismes IA et Emploi dans une revue improbable.


J'ai mis la phrase clé de cet article en gras. Elle est une véritable reformulation pour notre époque de la phrase de saint Paul aux Thessaloniciens : "
Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus." 

« L’IA remplacera les humains » : un fondateur de l’IA dit adieu au travail… et interroge l’avenir du capitalisme

Et si l’intelligence artificielle n’était pas simplement un outil, mais une stratégie d’élimination du travail humain ? Cette question, longtemps reléguée aux marges du débat technologique, s’impose désormais au cœur des réflexions économiques. L’un de ses pionniers, Geoffrey Hinton, le dit sans détour : l’IA est conçue pour vous remplacer. Pas juste vous aider, vous assister, vous seconder.

Les chiffres donnent le vertige. En 2025, Microsoft, Meta, Alphabet et Amazon ont investi 420 milliards de dollars dans l’IA, en hausse de 60 milliards en un an. OpenAI, de son côté, engage un trillion de dollars dans des partenariats avec Nvidia, Oracle et Broadcom. Pourtant, aucune de ces entreprises ne dégage de bénéfices dans le secteur. OpenAI aurait perdu 11,5 milliards en trois mois.

Alors pourquoi continuer ? Parce que le pari n’est pas immédiat. Il est systémique. Le modèle repose sur l’idée que, à terme, les IA génératives remplaceront l’intégralité des maillons humains non essentiels. Pas d’embauches, pas de salaires, pas de syndicats, pas de fatigue. Juste des algorithmes et des serveurs.

Cette logique rappelle les vieux rêves de l’automatisation intégrale. Mais ici, ce ne sont plus les ouvriers ou les caissiers : ce sont les juristes, les journalistes, les artistes, les ingénieurs qui se retrouvent sur la sellette. Geoffrey Hinton le dit lui-même : c’est là que se trouve l’argent.

L’histoire du capitalisme est celle d’une relation ambiguë au travail : il est à la fois moteur de production et coût à optimiser. Chaque révolution technologique l’a repoussé un peu plus loin – de la machine à vapeur à l’automatisation industrielle. Mais l’IA marque un tournant : le travail humain n’est plus adapté à l’échelle de rentabilité visée.

Le chercheur Jathan Sadowski l’explique dans son ouvrage The Mechanic and the Luddite : l’IA devient la solution ultime à l’instabilité du capitalisme, en uniformisant les compétences, en compressant les coûts et en supprimant les aléas humains. L’humain n’est plus un atout, mais un obstacle à l’optimisation.

Le marché suit. Depuis le lancement de ChatGPT, les offres d’emploi ont chuté de 30 %, selon une étude relayée par Fortune. Amazon, bien qu’évasif, admet dans un mémo interne que l’automatisation permettra de réduire les effectifs corporate. Le mouvement touche toutes les strates : service client, RH, juridique, production de contenus…

Une transformation qui dépasse l’emploi : le risque d’une implosion du contrat social capitaliste

L’impact de l’IA ne se limite pas à l’économie du travail. Il interroge la place même du travail dans nos sociétés. Car si les machines produisent, qui consomme ? Si les humains ne travaillent plus, sur quoi repose la distribution de la valeur ?

Nous entrons dans une ère où l’économie ne dépend plus de la contribution humaine directe. Ce n’est plus une utopie futuriste, c’est une réalité en construction. Mais sans redistribution équitable, c’est le contrat social qui s’effondre. Et avec lui, la légitimité du capitalisme tel que nous le connaissons.

Les débats sur le revenu universel, la fiscalité des IA, ou encore la souveraineté numérique deviennent donc centraux. La technologie avance – reste à savoir pour qui, et à quel prix.


jeudi 13 novembre 2025

Krimo, le Pablo Escobar d'Albi

Dans le cœur historique de la cité épiscopale, quand on va de la Préfecture et que l'on revient sur la place du Vigan, on peut s'engager sur main droite dans un passage qui mène en deux pas dans un recoin d'où partent deux étroites venelles qui semblent sorties tout droit du Moyen-Age, ou d'un 19e siècle des plus sombres, sorte de coupe-gorge sordide où les fantômes du passé s'ils existent doivent se donner à coup sûr rendez-vous. La venelle qui nous convoque aujourd'hui est la rue des Grenadiers, elle se trouve donc juste derrière la brasserie du Pontié. C'est dans une piaule d'un immeuble vétuste de cette rue que deux jeunes femmes toxicomanes, étaient retenues prisonnières, du mois de juin au mois d'octobre 2023 par un réseau de proxénètes, constitué et dirigé par Enzo S., alias "Krimo", jeune délinquant de 22 ans, qui se décrit, selon ses proches, comme le "Pablo Escobar d'Albi". Ce jeune jouait de son emprise sur eux et leur promettait rémunération. Le premier prévenu, invité à surveiller les filles, a indiqué incidemment n'avoir jamais reçu la moindre somme et s'être finalement retrouvé tout nu dans la rue un beau jour où il a ainsi décidé de porter plainte lui aussi... Les jeunes femmes, qui étaient autant prisonnières du gang que de leurs besoins en cocaïne, se prostituaient dans des conditions sordides, troquant leur corps contre quelques grammes de poudre. L'une des victimes, surnommée Wendy, a témoigné aujourd'hui à la barre. Elle était contrainte d'enchaîner les passes, jusqu'à 20 clients par jour. Elle était surveillée du matin au soir, réveillée à coup de verres d'eau le matin pour continuer son activité et réduite à quémander ses doses de cocaïne pour tenir le coup. Krimo et les sept autres prévenus étaient donc appelés à comparaître devant le tribunal correctionnel d'Albi* à partir de ce matin 13 novembre 2025 et jusqu'à demain après-midi.

J'étais au tribunal d'Albi, pour l'audience de l'après-midi, accompagnant nos élèves de terminale conviés à s'informer sur le fonctionnement de la justice par mon collègue professeur de philosophie.

Dès avant le début de l'audience, au moment où les avocats de la défense et des parties civiles revêtent leurs habits, entrent cinq inculpés parmi les 8 prévenus dans le box des accusés, solide enceinte transparente construite avec des panneaux de verre de 25 mm d'épaisseur. Krimo est le seul à soutenir le regard de chaque membre de l'assistance. Regard noir et abyssal, front et contour des yeux tatoués de fins losanges. Il arbore une longue queue de cheval qui part à l'arrière d'un crane par ailleurs rasé à blanc, jusqu'au dessus des oreilles. Chaque inculpé est conduit par un policier assermenté et lourdement protégé. Tous semblent si jeunes et pourtant ils sont là, bel et bien inculpés pour proxénétisme aggravé en bande organisée, traite d'êtres humains, trafic de stupéfiants, pour leur procès en correctionnelle. Derrière ces chefs d'accusation, une histoire de domination et de dépendance, où la peur se conjugue avec la violence, la contrainte sous la menace des uns utilisant la faiblesse des autres. Les uns étaient chargés de recruter les clients, d'autres de les faire payer, la plupart se relayaient pour surveiller les filles et répondre à leurs besoins. Tous étaient contraints de dormir peu tant que le "chiffre de la journée" n'était pas réalisé". Vies brisées dont il faudra bien arriver à sortir comme le souhaitait l'un des appelés, qui était appelé à s'exprimer et à répondre de sa violence verbale envers les filles : tous autant qu'ils étaient s'étant retrouvés là, d'après lui, par un enchaînement de nécessités et de renoncements. Tous ayant pour dénominateur commun l'addiction au cannabis et à la nécessité de se trouver un appartement et quelques vivres.

*Le jeune Krimo connait bien ce tribunal pour avoir déjà dû répondre, le 18 juin 2024 de l'ordre qu'il avait donné à deux mineurs d’incendier la porte de la préfecture du Tarn et celle du palais de justice en juillet 2023, dans le contexte des émeutes urbaines liées à la mort du jeune Nahel. Ces faits remontent à la nuit du 1er au 2 juillet 2023.



mercredi 12 novembre 2025

N'autre France assassinée en 1914

3.000 lettres d'amour ont été échangées entre Alphonse Lerasle, un militaire du Cher, parti au front pendant la Grande Guerre, et son épouse Alice, restée au village.

Une correspondance unique par son volume et sa régularité.


En faisant des recherches sur les noms figurant sur le monument aux morts de Saint-Ambroix, l'historienne Denise Péricard-Méa a trouvé deux boîtes à chaussures avec une partie de cette correspondance

Cette petite histoire est un témoignage unique de n'autre France détruite par la grande histoire. 

En tout, 1.111 lettres compilées dans un livre bouleversant, par les soins de cette historienne, qui estime que près de 3.000 lettres ont été échangées par ce couple de cultivateurs. Par lettres interposées, Alice et Alphonse se sont tenus la main, malgré la guerre, comme toute une génération de ruraux du Berry, et plus largement de France et d'Europe, déchirée par la guerre.

Dès l'engagement de son mari, presque tous les jours, Alice écrit à Alphonse et inversement. Un échange mixte, car l'une laisse le recto vierge pour que l'autre puisse répondre, et quand la place manque, Alphonse a parfois rédigé sa réponse entre les lignes de son épouse, pour gagner de la place. 

Tout commence par la promesse de s'écrire le plus possible, dès le commencement de la guerre, au milieu d'un pays grisé par les nationalismes et l'idée que la guerre n'allait pas durer. Le 30 août 1914, Alice écrit à Alphonse : "Tâche donc de m’écrire le plus souvent possible, car je suis bien contente quand je touche une lettre de toi. Si seulement j’en pouvais avoir une tous les jours ou bien tous les deux jours, cela me tranquilliserait. En attendant le plaisir de lire une de tes lettres, reçois mon cher petit Alphonse, le meilleur baiser de ta femme qui t’aime de tout son cœur. Je t’embrasse bien fort. Ta femme."

En réponse, Alphonse décrit son quotidien de soldat, en première ligne pendant quasiment la totalité du conflit. Au fil des lettres, il délivre des conseils à son épouse agricultrice restée seule sur l'exploitation"Ma chère Alice. Je trouve bien le temps long de ne pas avoir de tes nouvelles. Je voudrais bien savoir où tu en es de ton travail et quel est le prix des porcs et des veaux. Vas-tu essayer de vendre ? S'ils sont trop bon marché, tu peux encore attendre. Je t’aime bien et t’embrasse de tout mon cœur."

Le quotidien du soldat d'un côté, le travail journalier dans la ferme de l'autre, les échanges s'étirent au fil de la guerre d'août 1914 à octobre 1918.  

Ainsi, le 11 juin 1916 : 
"Mon cher Alphonse. La vache est vendue et j’ai presque regret qu’elle le soit, car j’ai peur de m’être fait attraper ; elle me la paie 435 Francs. Je t’assure que c’est malheureux, une femme seule qui faut qui s’occupe de tout. Si j’avais su, je l’aurais encore gardée. En ce moment, tu es peut-être bien en tranchées, je voudrais bien le savoir et de quel côté que c’est. [...] je suis toujours en bonne santé et je demande à Dieu que ma lettre te trouve de même. Dans l’attente d’une autre lettre, reçois, mon petit Alphonse chéri, un bon baiser de celle qui pense qu’à toi et t’aime de tout son cœur."

Rongée par l'inquiétude, Alice, dans ses lettres, montre une grande bienveillance vis-à-vis de son mari. 10 novembre 1914, elle écrit : "Mon cher Alphonse. Je t’avais envoyé un autre billet de 5 francs autour du 20 octobre. L’as-tu reçu ? Tu m’en parles pas. Surtout, toi, mon cher Alphonse, ne fait pas d’imprudence ! Je sais bien qu’il faut que tu marches, mais marche seulement quand tu y es obligé. Quand tu es dans la tranchée, tu as pas besoin de te montrer. Abrite-toi le mieux que tu le pourras. Fais ton possible pour revenir, car je suis bien malheureuse."

Denise Péricard-Méa a reproduit chaque lettre, en respectant le patois de l'époque, l'argot militaire et parfois les fautes d'orthographe. "J'ai fait deux glossaires dans mon livre, un glossaire berrichon et un glossaire des soldats. J'ai retrouvé des expressions que j'avais entendues de mes grands-parents." Exemple : "Tu me faisais des petites misères, des blagues, des chatouilles, des choses comme ça. Puis, elle dit aussi 'Je m'ennuie, ça veut dire, elle se fait du souci, puis ainsi de suite."

Du reste, la régularité des échanges "donne le ton aussi de tout l'ensemble des lettres. C'est une conversation à bâtons rompus et il s'agit d'écrire quand même pour parler, pour se tenir la main par-delà la distance." L'intérêt historique de cette étude repose sur des conversations où se télescopent deux quotidiens très différents. "C'est tout à fait unique ce dialogue permanent entre le mari et la femme en même temps. Elle raconte la vie du village, tous les commérages, tous les soldats permissionnaires, les soldats qui tiraient au flanc. Il y a toute la chronique des deux villages [de Primel et de Saint-Ambroix]. Bien sûr, on suit toutes les blessures et tous les garçons qui sont morts, tous les garçons qui reviennent blessés. C'est une chronique de village."


Confronté à l'âpreté des combats, Alphonse partage ses déplacements et parfois des rencontres surprenantes comme le roi et reine de Belgique venus visiter le front en janvier 1916. "Nous avons rencontré sur la route le roi et la reine de Belgique ! Ils n’avaient pas d’escorte. En passant auprès de nous, la reine a failli tomber, son cheval avait fait un écart. Je t’assure qu’on n'aurait pas dit une reine ! Elle avait une robe bleue tout à fait simple avec une petite toque sur la tête ; elle avait l’air triste. Je ne sais pas si c’est parce qu'elle était à cheval, mais elle paraissait plus petite que sur les images". La correspondance s'égrène jusqu'au mois d'octobre 1918. Le 10 de ce mois, Alphonse fait parvenir cette lettre à son épouse : "Ma chère petite femme... Deux mots des premières lignes où je suis arrivé hier soir à onze heures après avoir fait 15 km. J'étais bien fatigué, mais ça ne m’a pas empêché d’aller prendre la garde. Tu parles d’une vie ! [...] C’est tout de même malheureux de voir que c’est toujours au même de marcher ! Si j’ai le bonheur de m’en tirer, je pourrais dire qu’il m’en auront fait voir cette année. Rien de plus pour aujourd’hui. Pour le moment, je suis en bonne santé et je demande bien à Dieu que ma lettre te trouve de même. Ton mari qui t’aime de tout son cœur et qui t’embrasse bien fort."

Le lendemain, le 11 octobre 1918, Alice envoie une ultime lettre à Alphonse. "Mon cher petit Alphonse. J’ai encore rien reçu ce matin. [...] Je t’assure que je voudrais bien que les lettres viennent car je suis bien en peine de savoir où tu es en ce moment. [...] Je ne vois rien à te dire que je suis en bonne santé et je prie bien Dieu pour que ma lettre te trouve de même. Dans l’attente d’une lettre, reçois, mon cher petit Alphonse, le meilleur baiser de ta petite femme qui t’aime de tout son cœur.

Cette lettre restera sans réponse. 

Alphonse perd la vie après l'explosion d'un obus le 14 octobre 1918, alors qu'il est au repos, un petit mois avant l'armistice.

Alice elle se
 "laissera mourir de chagrin" en 1924.






Le Paradoxe de Simpson

Regardez cette vidéo magnifique sur le paradoxe de Simpson :

Où comment les statistiques permettent de comprendre le monde, à condition de le connaitre déjà ...




 

jeudi 6 novembre 2025

L'Evangile mis en pratique sans baratin ...

Lorsque la romancière et philanthrope MacKenzie Scott a annoncé en 2019, après son divorce avec le fondateur d’Amazon Jeff Bezos, qu’elle donnerait une partie importante de sa fortune issue d’Amazon « jusqu’à ce que le coffre-fort soit vide », peu de gens imaginaient à quel point sa générosité discrète allait bouleverser l’enseignement supérieur américain.

La philanthropie sans restriction de MacKenzie Scott offre aux universités américaines historiquement noires la liberté (et la responsabilité) de renforcer leurs dotations, de développer la recherche et de réinventer leur avenir.

Les dons importants et sans restriction de MacKenzie Scott aux universités américaines historiquement noires (Historically Black Colleges and Universities, HBCU) ne sont pas seulement généreux : ils témoignent d’une résistance politique et culturelle face à l’érosion du discours sur la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) et au sous-investissement persistant dans les établissements d’enseignement noirs.

Montants

La même année, elle a fait don d’environ 560 millions de dollars à 23 universités américaines historiquement noires, ce qui représente l’un des plus importants apports de capitaux privés dans l’enseignement supérieur noir de l’histoire des États-Unis. Cinq ans plus tard, en 2025, le mois dernier, MacKenzie Scott a renouvelé son geste en faisant don de près de 300 millions de dollars à des établissements tels que Howard, Morgan State, Spelman, Virginia State, Alcorn State et le United Negro College Fund, pour n’en citer que quelques-uns, portant le total de ses dons aux universités américaines historiquement noires à un peu moins de 900 millions de dollars, et d’autres dons sont attendus dans les mois et les années à venir.

Pour les universités américaines historiquement noires, longtemps sous-financées par rapport aux établissements à prédominance blanche comme Harvard, Stanford ou l’université de New York, la philanthropie de MacKenzie Scott est plus qu’un simple geste de générosité. Il s’agit d’un acte de confiance transformateur, qui offre aux dirigeants la liberté rare de décider eux-mêmes de l’utilisation des fonds. Libérés des restrictions habituelles imposées par les donateurs, ces établissements peuvent investir de manière stratégique dans la recherche et le développement, la croissance des dotations, les infrastructures et la réussite des étudiants, des domaines historiquement limités par des capitaux restreints.

Il en résulte une nouvelle ère de possibilités pour des établissements qui ont façonné la classe professionnelle et intellectuelle noire américaine pendant plus de 150 ans.

L’approche philanthropique de MacKenzie Scott est remarquable non seulement par son ampleur, mais aussi par son silence. Elle ne fait aucune apparition dans la presse, ne publie aucune déclaration auto-congratulatoire et ne construit aucun bâtiment portant son nom. À une époque où les milliardaires cherchent souvent à se faire apprécier par leur visibilité, les dons de MacKenzie Scott sont un modèle de retenue et une critique discrète de la richesse ostentatoire.

Au lieu de cela, elle offre sa confiance. Au total, elle a fait don de plus de 16 milliards de dollars à plus de 1 600 organisations, dont près de 900 millions de dollars aux universités américaines historiquement noires depuis 2020. Chaque don est accordé sans condition, sans consultants et sans les contraintes qui accompagnent souvent les grandes œuvres philanthropiques. Pour les présidents des universités américaines historiquement noires, qui ont dû se battre pour obtenir chaque dollar des secteurs public et privé, le modèle de MacKenzie Scott est révolutionnaire. Il les traite comme des gardiens de l’excellence, et non comme des bénéficiaires de la charité.

Les résultats sont déjà visibles. Une étude de l’université Rutgers a révélé que les universités américaines historiquement noires bénéficiant du soutien de MacKenzie Scott ont enregistré une augmentation moyenne de 300 nouveaux étudiants et un taux de rétention supérieur de 15 % par rapport aux établissements similaires.

Au Spelman College, 11 millions de dollars sur les 20 millions de dollars donnés par MacKenzie Scott ont été directement versés à la dotation, tandis que des fonds supplémentaires ont servi à renforcer les bourses d’études en justice sociale et les infrastructures technologiques.

La Morgan State University a créé une dotation « Leading the World » grâce au don de 40 millions de dollars de MacKenzie Scott, et la Bowie State University a affecté 22,5 millions de dollars sur les 25 millions de dollars donnés à son fonds d’investissement à long terme. Il ne s’agit pas d’apports ponctuels, mais d’accélérateurs institutionnels.

Méthodologie

Cependant, l’aspect le plus radical du don de MacKenzie Scott réside peut-être dans sa méthodologie. En supprimant les restrictions, elle renverse un siècle de paternalisme philanthropique qui dictait souvent la manière dont les institutions noires devaient dépenser leur argent. Sa philosophie est simple : ceux qui sont les plus proches du travail savent mieux que quiconque comment le pérenniser. Cette assurance tranquille est en soi une forme de protestation, qui ne repose pas sur une idéologie, mais sur la confiance.

Les universités américaines historiquement noires sont depuis longtemps des laboratoires de leadership, formant certains des plus grands esprits et des plus grandes voix morales des États-Unis. La vice-présidente des États-Unis sous Joe Biden, Kamala Harris, première femme et première personne de couleur à occuper ce poste, est diplômée de l’université Howard. Thurgood Marshall, premier juge noir de la Cour suprême des États-Unis. Martin Luther King Jr. a affiné son intellect et ses convictions au Morehouse College, une institution qui, comme de nombreuses universités américaines historiquement noires, a formé des générations de leaders qui ont fait progresser la promesse d’égalité et de justice aux États-Unis.

Leurs réalisations sont la preuve vivante que l’investissement dans les universités américaines historiquement noires n’est pas une œuvre de charité, mais une stratégie. Ces établissements ont toujours fait plus avec moins, formant une proportion disproportionnée de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, d’éducateurs et de fonctionnaires noirs. Leur succès n’a jamais été en contradiction avec la soi-disant méritocratie américaine : il l’a plutôt incarnée. L’histoire des universités américaines historiquement noires est celle de l’excellence atteinte contre toute attente, et celle d’un peuple déterminé à construire, à enseigner et à diriger même lorsque les opportunités lui étaient refusées ailleurs.

MacKenzie Scott semble comprendre cela à un niveau profond. Son don de près d’un milliard de dollars aux universités américaines historiquement noires reflète non seulement sa générosité, mais aussi sa perspicacité, car elle reconnaît que le véritable progrès passe par l’investissement dans des institutions qui ont toujours obtenu des résultats. En faisant confiance à ces universités pour décider de leurs propres priorités, MacKenzie Scott affirme la valeur durable de l’excellence noire et de l’enseignement supérieur en tant que bien public. Sa philanthropie rappelle que la liberté, les opportunités et l’innovation prospèrent lorsqu’on investit non pas dans la division, mais dans le génie qui a toujours été là, transformant discrètement les États-Unis de l’intérieur.

mardi 4 novembre 2025