Mais surtout un vin produit sur la terre cultivée par nos ancêtres Gazet, pendant 3 siècles et 8 générations.
Il y a 2 ou 3 ans, nous avions été rencontrer Henri et Mathieu Colin sur leurs terres. Ce retour inattendu avait d'ailleurs intrigué Henri Colin, qui devait se demander si nous n'allions pas lui réclamer la restitution de la terre de nos ancêtres. Il avait quand même eu la gentillesse de nous montrer où se trouvaient ces parcelles cultivées par nos ancêtres, que je ne connaissais que par leur nom de l'époque, et sur le cadastre Napoléon.
Le Vin du Moutherot
Jean, fils de Daniel Gazet, vigneron du mouterot 1760 |
Henri Colin a quitté l’exploitation familiale dans les années 80 pour planter son premier pied de chardonnay. Aujourd’hui, le fils a succédé au père, et le moutherot est le seul vin du Doubs. Rencontre avec deux générations de vignerons.
C’est l’histoire d’un vignoble ressuscité par la volonté d’un homme, puis de son fils, et la fidélité d’une bande de copains. Sans tambour ni trompette, le 14 juillet 1987, Henri Colin, 47 ans à l’époque, abandonne veaux, vaches, cochons de l’exploitation familiale pour planter son premier pied de chardonnay au Moutherot, à une vingtaine de kilomètres de Besançon (Doubs). Un mois plus tard, son fils Mathieu vient au monde et le père s’empresse de poser «son petit pied nu» sur la terre de la vigne. «Ça a fait rigoler ma femme», se souvient Henri Colin*.
Vingt-huit ans plus tard, le moutherot, appellation «vin de pays de Franche-Comté», est produit dans le seul vignoble du Doubs, le fils a succédé à son père qui veille au grain avec un mélange de tendresse et de goguenardise. On est en pleine vendange, un jour d’été gaillard pour septembre. Le laurier, qui fleurit blanc, fait de la résistance et les pêchers croulent sous les fruits oubliés. On accède au Moutherot par un ruban de lacets qui va vers cette crête posée entre la vallée de l’Ognon et les plaines du Doubs. Il y a mille ans déjà, des moines cultivaient la vigne sur cette colline tranquille où ils ont laissé, pour unique vestige, un petit cellier voûté au toit recouvert d’épaisses lauzes. Les paysans ont continué de faire pousser le raisin sur des «échalas», des «vignes à bras», comme disent encore les anciens. Jusqu’à la damnation du phylloxera, à la fin du XIXe siècle.
Tapis moelleux
Le Moutherot a failli perdre son vin mais aussi ses habitants : en 1960, ils n’étaient plus que 20, contre 130 aujourd’hui et 7,5 hectares de vigne où l’on vendange avec trois semaines d’avance. «Il y a beaucoup de sucre, ça va être bon, se réjouit Mathieu Colin. Certes, ce ne sera pas un vin de garde, mais il sera idéal à l’apéritif, sec mais très rond.» Le chardonnay court sur une pente orientée au Sud et à l’Est, d’où on aperçoit la ligne sombre du Jura et, parfois, le mont Blanc. De part et d’autre d’un chemin creux, les ceps s’en vont en rangées basses - à la bourguignonne - ou formant un V - en lyre - pour faire entrer le soleil. Cette année, Mathieu Colin a eu la bonne intuition de laisser sa vigne très feuillue pour garder le raisin à l’ombre.
Il soulève une lourde grappe aux grains serrés dont les reflets changeants varient entre le vert, le bronze et l’or. Au goût, c’est un jus sucré qui vient d’abord, avant une timide mais persistante âpreté. La mauve, le pissenlit et le serpolet font un tapis moelleux et frais sur le sol où cette liane qu’est la vigne plonge dans l’argile et le calcaire feuilleté où elle va pomper l’humidité. «On peut avoir aussi bien un mètre de terre qu’une veine où les racines vont s’enfoncer», explique le jeune vigneron arrachant une touffe de liseron. En janvier et février, ses moutons viennent paître entre les rangs de ceps, ce qui facilite ensuite le labourage tout en apportant un engrais naturel. Mathieu Colin traite le moins possible sa vigne, plantée sur une terre abandonnée aux ronces, aux noisetiers et aux acacias jusqu’à ce que son père décide d’y planter du chardonnay. «De toute façon, Le Moutherot n’a jamais connu l’agriculture chimique, raconte son fils. Il n’y avait que des petits troupeaux. Ici, on n’a pas besoin d’insecticide, l’équilibre naturel se fait tout seul.»
Deux pressoirs
Dans son plus vieux souvenir, Mathieu a «6-7 ans» quand il «remonte les vignes sur le tracteur» de son père. A 10 ans, il taille déjà les sarments en hiver. En 2006, il décroche un bac pro vigne et vin au lycée viticole de Beaune. Le moutherot paraît toujours avoir été une évidence pour le gamin qui a pourtant connu les années de vache enragée de son père qui, après avoir foncé dans «l’agriculture à la con», s’était juré de rendre sa vigne à cette colline ensoleillée. «J’ai commencé sous les quolibets des collègues paysans et les rires des banquiers, raconte Henri Colin. J’ai mis douze ans pour planter six hectares, et le 2 juin 1999 la grêle a réduit à néant mon travail. C’est la paie d’institutrice de ma femme qui m’a permis de tenir, mais on a vécu vingt-cinq ans pauvrement.»
Onze heures sonnent à la grosse cloche de l’église ; sur le monument aux morts de la Première Guerre mondiale, il y a cinq noms dont quatre de la même famille. Tout près, trône un vieux pressoir vertical en bois. Mathieu Colin fait son vin dans une ancienne ferme. Une puissante odeur de sucre et de fermentation fleure dans la grange où sont installés les deux pressoirs autour desquels s’agite une meute de guêpes énervées. Il faut une tonne et demie de raisins pour obtenir 1 000 litres de jus. Le pressurage démarre dans le grondement monotone d’un long tambour de métal où commencent à luire des premières gouttes qui vont du brun au doré à l’œil, du mielleux au rugueux sur les papilles. Le moût obtenu est ensuite refroidi à 14 degrés durant vingt-quatre heures lors du débourbage qui permet d’obtenir un jus plus clair avant la fermentation alcoolique. Le vin est ensuite élevé douze mois en fûts de chêne que l’on découvre derrière la grosse porte grise de la cave où sont alignées 47 barriques de 228 litres. Cette année, Mathieu Colin compte faire 20 000 bouteilles de vin blanc. Il produit également des vins pétillants et son ratafia, assemblage de jus de raisin et de marc.
On goûte sa cuvée 2014, non filtrée, issue de vieilles vignes (6 euros la bouteille) aux arômes d’agrumes et où revient la note anisée, typique du moutherot, et qui provient de son sous-sol calcaire. C’est un vin tendre et soyeux qui accompagnera les viandes blanches tandis que la cuvée chardonnay tradition (5,70 euros) sera idéale à l’apéritif.
Saucisses
Dans la maison familiale, quatre longues tables sont dressées pour le déjeuner des vendangeurs. Il y a une plantureuse salade de tomates du jardin pleines d’été ; des saucisses accompagnées d’un redoutable écrasé de pommes de terre à l’échalote et un crumble défiant les plus voraces, le tout, bien sûr, arrosé des vins de Moutherot. «Le meilleur vin du monde, c’est celui que l’on boit entre copains, n’est-ce pas ?» sourit Henri Colin. Le fils est assis à côté du père. Silencieux, attentif. «Cette année, c’était très difficile de lire la vigne, commente Henri Colin. Mathieu a très peu traité, pas trop rogné.» Derrière le commentaire, on sent le compliment pudique du père, jamais à court d’ironie : «Même quand on ne récoltait rien, on faisait la fête. Ma fierté, c’est d’être allé du cep de vigne que j’ai planté au vin que je suis en train de boire.»
Le vignoble du Moutherot,
23, rue des Granges, Le Moutherot (25).
Rens. : www.vindumoutherot.com
Libération
Par Jacky Durand
Envoyé spécial à Moutherot
18 septembre 2015
Le vignoble du Moutherot,
23, rue des Granges, Le Moutherot (25).
Rens. : www.vindumoutherot.com
Libération
Par Jacky Durand
Envoyé spécial à Moutherot
18 septembre 2015
* Je comprends intimement ce geste, je me suis moi même empressé de poser la main sur la terre chaude au pied d'un cep.
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