Je reprends ici un article intéressant du Point :
« Les secrets de Compostelle » ? Ou les mythes ? Voire les mensonges ? En tout cas, les constructions. Les Secrets de Compostelle, l'ouvrage de Philippe Martin, universitaire à Lyon-2, accumule tranquillement, sans polémique, les faits qui détricotent la belle cathédrale de songes de Compostelle.
Saint Jacques est-il venu marcher en Espagne ?
Ô pèlerins, si vous croyez mettre vos pas dans ceux de saint Jacques, il va falloir réviser vos certitudes. On a beau lire les premières vies, les premiers actes relatifs à cet apôtre du Christ, il n'a jamais mis le moindre pied en Espagne. Contrairement à ce qu'affirmera, au XIIe siècle, une des « bibles » de Saint-Jacques de Compostelle, le Codex Calixtinus, le Christ ne lui avait pas confié l'Espagne à évangéliser. Bref, en deçà des Pyrénées, on n'a jamais vu ledit Jacques, qui serait allé plutôt vers l'Est, au-delà de la Turquie. Mais s'il n'y a pas été de son vivant, peut-être pourrait-il avoir été transporté après sa mort, sous forme de reliques. Là non plus, Philippe Martin ne laisse guère d'espoir au lecteur-marcheur.
Ses reliques se trouvent-elles à Compostelle ?
Tout commence vers 820 avec un ermite qui aurait suivi une étoile, à la manière des Rois mages. Accompagné d'un évêque du coin, il tombe sur la sépulture de trois personnes décapitées aussitôt identifiées comme saint Jacques et deux de ses disciples. Le roi des Asturies décide illico la construction sur ce corps, en un lieu baptisé campus stellae (le champ d'étoiles), qui devient Compostelle. Un document, qu'on prête faussement à un pape, authentifie les reliques au IXe siècle, puis l'évêque du Puy-en-Velay vient en pèlerinage. La machine est en marche et s'emballe bientôt, relayée par la toute-puissante abbaye de Cluny. Mais au XIe siècle, lorsque les moines de Saint-Jacques de Liège demandent leur part d'ossements, on ouvre les reliquaires qui sont... vides. Qu'importe ! La tête de saint Jacques arrive bientôt de Jérusalem et un clerc poitevin, Aimery Picaud, qui va rédiger le Guide du pèlerin, affirme sans barguigner : « Il est certain que son corps est fixé là, à jamais immuable. » La messe est dite. Cependant, il y a de la contestation dans l'air. La France affirme que ces reliques, c'est elle qui les possède à Toulouse, depuis Charlemagne. À Compostelle, on commence à trembler et on interdit aux visiteurs les plus illustres le moindre coup d'œil sur les prétendues reliques. Même le roi d'Espagne, en 1572, essuie un refus. Lorsqu'il revient à la charge en 1601 et obtient l'ouverture, catastrophe : il n'y a rien. On trouve illico une explication. Les reliques ont été mises à l'abri en 1585 lors de la guerre avec l'Angleterre. Mais où ? On a oublié. Les siècles passent. Le pèlerinage s'étiole et Compostelle est déserte, supplantée par La Corogne, nouvelle grande cité commerciale de la Galice. Qu'à cela ne tienne, on effectue en 1879 de nouvelles fouilles qui, ô soulagement, débouchent sur de nouvelles reliques, aussitôt authentifiées. En plus, le pape confirme... Alors.
Pourquoi tant d'amour ?
Pourquoi saint Jacques en Espagne ? On n'apprendra à personne que la péninsule ibérique a été envahie par les musulmans. Les Maures. Seule la partie nord-ouest de l'Espagne résiste à l'envahisseur, dans les montagnes cantabriques et dans les Asturies. Mais pour mobiliser les énergies chrétiennes, quoi de mieux qu'un saint ? C'est un saint qu'il leur faut. Un apôtre ferait encore mieux l'affaire. Le choix se porte sur Jacques, surnommé par les Évangiles « le fils du tonnerre », qui devient le « Matamore ». Certains écrits fantaisistes lui attribuant l'Espagne pour terre d'évangélisation, va pour saint Jacques. Comme le rappelle justement Philippe Martin, la France ne s'est pas construite autrement en s'appuyant sur saint Denis ni Venise, en rapatriant les reliques de saint Marc depuis Alexandrie.
Le revival du chemin
Si le pèlerinage a fait florès entre l'an 1000 et le XVe siècle – il se pratiquait très largement en bateau, les routes maritimes étant plus sûres que les voies terrestres –, il est peu à peu tombé dans l'oubli. Mais dans les années 60, le pouvoir franquiste qui s'ouvre à l'étranger songe qu'à la Costa del Sol, on pourrait raisonnablement ajouter le Camino francès (chemin français), déclaré « ensemble historico-artistique » en 1962. Le ministère du Tourisme remet en valeur une centaine d'édifices éparpillés sur le tracé que l'on redécouvre en s'appuyant sur le Guide du pèlerin du Poitevin Picaud. On dégage quatre itinéraires principaux en France, depuis Tours, Arles, Vézelay et le Puy, qui chacun passaient par des lieux contenant des reliques, respectivement, saint Martin, saint Gilles, saint Léonard et sainte Foy. Des études ont montré que ces parcours étaient des suggestions faites par le roi de Castille à des seigneurs aquitains en 1135. Dans les années 60, un curé espagnol de Cerebros se passionne aussi pour le Camino, rédige une thèse et le débroussaille en dessinant des flèches jaunes bien connues aujourd'hui des pèlerins. La Société française des amis de Saint-Jacques a été fondée dès 1950, mais il faut attendre la démocratisation de l'Espagne et le classement de Compostelle au patrimoine de l'Unesco en 1985 pour voir le chemin devenir à nouveau tendance. La ville reçoit à deux reprises la visite de Jean-Paul II et, en 1987, le Camino est classé premier itinéraire culturel européen, avant d'être inscrit à son tour au patrimoine de l'Unesco pour sa partie espagnole. Il est utilisé comme trait d'union d'une certaine Europe, chaque pays nouvellement membre se voyant attribué un début de parcours.... Concrétisation de ce que Michel Foucault appelait une hétérotopie, la localisation d'une utopie.
Mais comme le poète Antonio Machado l'écrivait : « Toi qui marches, le chemin, c'est les traces de tes pas et rien de plus. Toi qui marches, il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant, en marchant, on fait le chemin. » Amen !
Philippe Martin. Les Secrets de Saint-Jacques de Compostelle. Éditions la Librairie Vuibert. 300 p. 20 euros.