Un appel solennel à l’intolérance. Comment qualifier autrement le texte rédigé par Denis Tillinac dans Valeurs actuelles et signé par une escouade de personnalités, dont Nicolas Sarkozy, Alain Finkielkraut ou Pascal Bruckner ? «Touche pas à mon église !» s’écrie Tillinac en hommage grinçant au «Touche pas à mon pote» de SOS Racisme. Et qui toucherait à ces églises ? Les musulmans, bien sûr ! L’affaire a pour origine une suggestion prudente de Dalil Boubakeur. Constatant que les musulmans manquent de lieux de culte, le débonnaire recteur de la mosquée de Paris a remarqué, en réponse à Jean-Pierre Elkabbach, que nombre d’églises, entretenues à grand-peine par des municipalités désargentées, sont vides de fidèles. Pourquoi, demande le recteur, ne pas céder ces bâtiments à un autre culte, comme cela s’est déjà fait dans certaines paroisses ? Voyant que sa proposition a suscité un début de polémique, Boubakeur, dans un souci d’apaisement, a fait aussitôt machine arrière. Et d’ailleurs, aucune église n’est aujourd’hui à vendre en France…
Cela n’empêche pas Tillinac et ses acolytes de sonner, non l’angélus dont il parle, qui est signe de sérénité, mais le tocsin, signal de guerre, en volant au secours d’églises qui ne sont aucunement menacées, sinon de tomber en ruines faute de pratiquants. Ses alarmes calculées ne reposent sur rien, sinon sur une hostilité primitive envers l’islam. Si certaines églises sont finalement vendues, ce sera, comme dans plusieurs pays, au profit d’activités privées (lire pages 16-17). Elles seront transformées en centres de loisirs, en salles de réunion ou même en supermarchés ou en boîtes de nuit. Dans ces conditions, quel scandale y aurait-il à les voir cédées à d’autres cultes présents en France, comme le protestantisme ou l’islam ? Après tout, il s’agit du même dieu, croit-on savoir… Des esprits narquois feront même remarquer que la grande majorité des églises de France sont tournées vers l’Orient (d’où l’expression «orientées»). C’est-à-dire vers l’est, d’où vient la lumière du soleil levant, qui est celle du Christ, ou encore dans la direction de Jérusalem, où se trouve le tombeau de Jésus.
Par un hasard qui n’en est pas un, elles sont donc également tournées vers le mur des Lamentations, haut lieu juif, et vers la mosquée Al-Aqsa, haut lieu musulman. Et, à quelques degrés près, elles sont aussi orientées vers La Mecque, ce qui devrait faciliter la translation suggérée par Dalil Boubakeur. Ironiques réflexions ? Pas seulement. La cession d’églises à l’islam serait un beau symbole de concorde et de fraternité. Elle incarnerait non le «multiculturalisme» qu’on dit redouter, mais au contraire la reconnaissance de la filiation qui réunit ces deux religions du Livre et qui devrait conduire au rapprochement et à la cohabitation. Comme Abraham, le Christ - faut-il le rappeler ? - est aussi un prophète de l’islam. Et les musulmans qui prénomment un fils Djibril rendent hommage… à l’ange Gabriel, qui apparut en son temps à la Vierge Marie. L’Eglise, au demeurant, est bien plus nuancée que ces folliculaires qui se situent résolument à l’extrême droite de Dieu. Les écoles privées catholiques accueillent en grand nombre des élèves musulmans.
Sur la question des églises sans fidèles, monseigneur Lalanne s’oppose à la transformation pour ne pas attiser les conflits. Mais l’évêque d’Evry, Mgr Dubost, n’est pas hostile à l’idée. «Les musulmans, dit-il, ont le droit d’avoir des lieux de culte et on a le devoir de les aider.» Charles Martel de la Corrèze, Tillinac est donc plus catholique que les catholiques, vieux travers de la réaction française depuis Maurras. Il s’insurge d’ailleurs au nom de l’identité française, plus que pour des raisons religieuses. C’est bien jeter le masque : pour lui, les musulmans, par nature, sont étrangers à la France, qu’ils soient ou non de nationalité française. Ils sont, à ses yeux, une tache dans le paysage immémorial du vieux pays couvert de clochers, qu’il faut effacer. Alors qu’il y a, par exemple, plus de mots arabes en français que de termes d’origine gauloise. Signé par Jean Raspail, plume décatie et fascistoïde, et Eric Zemmour, héraut mal camouflé des idées frontistes, cet appel en faveur des églises, lieux de fraternité, est surtout un prêche insidieux pour la haine.
Libération 9 Juillet 2015.
Cela n’empêche pas Tillinac et ses acolytes de sonner, non l’angélus dont il parle, qui est signe de sérénité, mais le tocsin, signal de guerre, en volant au secours d’églises qui ne sont aucunement menacées, sinon de tomber en ruines faute de pratiquants. Ses alarmes calculées ne reposent sur rien, sinon sur une hostilité primitive envers l’islam. Si certaines églises sont finalement vendues, ce sera, comme dans plusieurs pays, au profit d’activités privées (lire pages 16-17). Elles seront transformées en centres de loisirs, en salles de réunion ou même en supermarchés ou en boîtes de nuit. Dans ces conditions, quel scandale y aurait-il à les voir cédées à d’autres cultes présents en France, comme le protestantisme ou l’islam ? Après tout, il s’agit du même dieu, croit-on savoir… Des esprits narquois feront même remarquer que la grande majorité des églises de France sont tournées vers l’Orient (d’où l’expression «orientées»). C’est-à-dire vers l’est, d’où vient la lumière du soleil levant, qui est celle du Christ, ou encore dans la direction de Jérusalem, où se trouve le tombeau de Jésus.
Par un hasard qui n’en est pas un, elles sont donc également tournées vers le mur des Lamentations, haut lieu juif, et vers la mosquée Al-Aqsa, haut lieu musulman. Et, à quelques degrés près, elles sont aussi orientées vers La Mecque, ce qui devrait faciliter la translation suggérée par Dalil Boubakeur. Ironiques réflexions ? Pas seulement. La cession d’églises à l’islam serait un beau symbole de concorde et de fraternité. Elle incarnerait non le «multiculturalisme» qu’on dit redouter, mais au contraire la reconnaissance de la filiation qui réunit ces deux religions du Livre et qui devrait conduire au rapprochement et à la cohabitation. Comme Abraham, le Christ - faut-il le rappeler ? - est aussi un prophète de l’islam. Et les musulmans qui prénomment un fils Djibril rendent hommage… à l’ange Gabriel, qui apparut en son temps à la Vierge Marie. L’Eglise, au demeurant, est bien plus nuancée que ces folliculaires qui se situent résolument à l’extrême droite de Dieu. Les écoles privées catholiques accueillent en grand nombre des élèves musulmans.
Sur la question des églises sans fidèles, monseigneur Lalanne s’oppose à la transformation pour ne pas attiser les conflits. Mais l’évêque d’Evry, Mgr Dubost, n’est pas hostile à l’idée. «Les musulmans, dit-il, ont le droit d’avoir des lieux de culte et on a le devoir de les aider.» Charles Martel de la Corrèze, Tillinac est donc plus catholique que les catholiques, vieux travers de la réaction française depuis Maurras. Il s’insurge d’ailleurs au nom de l’identité française, plus que pour des raisons religieuses. C’est bien jeter le masque : pour lui, les musulmans, par nature, sont étrangers à la France, qu’ils soient ou non de nationalité française. Ils sont, à ses yeux, une tache dans le paysage immémorial du vieux pays couvert de clochers, qu’il faut effacer. Alors qu’il y a, par exemple, plus de mots arabes en français que de termes d’origine gauloise. Signé par Jean Raspail, plume décatie et fascistoïde, et Eric Zemmour, héraut mal camouflé des idées frontistes, cet appel en faveur des églises, lieux de fraternité, est surtout un prêche insidieux pour la haine.
Libération 9 Juillet 2015.
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