samedi 5 décembre 2015

Une brassée de resedas

Aux Archives Nationales, dans un carton d'archives° de Fernand de Brinon, ambassadeur de France auprès des troupes d'occupation allemandes de novembre 1940 à août 1944, on trouve une magnifique photo Harcourt :



C'est un portrait de Roger Pironneau, résistant de 20 ans fusillé par les Nazis le 29 Juillet 1942, au Mont Valérien.

Ce jeune homme est d'une beauté stupéfiante, et les studios Harcourt, nouvellement créés, faisaient à l'époque des tirages argentiques d'une intensité extraordinaire. Le regard de ce garçon n'a rien perdu de son magnétisme, depuis 70 ans qu'il attend dans les sous-sols des Archives Nationales.

Au dos de ce portrait, figure une copie de la lettre inouïe que Roger a écrite à ses parents, recopiée par la main de son père, à l'intention de l'ambassadeur, et que je reproduis ici* :

Parents adorés,

Je vais être fusillé tout à l’heure à midi.
Il est neuf heures trois quart.
C’est un mélange de joie et d’émotion.

Pardon pour la douleur que je vais vous causer – celle que je vous cause, celle que je vous causerai. Pardon pour le mal que j’ai fait, et pour tout le bien que je n’ai pas fait.
Mon testament sera court : je vous adjure de garder votre foi. Surtout, aucune haine pour ceux qui me fusillent : « Aimez-vous les uns les autres », a dit Jésus. La religion à laquelle je suis revenu et dont vous ne devez pas vous écarter est une religion d’amour.
Je vous embrasse de toutes les fibres de mon cœur. Je ne cite pas de noms car il y en a trop.

Votre fils, petit-fils et frère qui vous adore,
Roger.

Dix heures un quart. 
Je suis calme et serein. J’ai serré la main de mes gardiens, grand plaisir. Je vais voir tout de suite l’abbé**, immense joie. Dieu est bon.

29.7.1942
Je nage dans la sérénité. 10h20.


Onze heures. 
J’ai le sourire. L’heure approche. Je suis serein.

Cette lettre a été écrite par le garçon, au verso d'une image de la Croix encerclée d'une couronne d'épines et d'une couronne de lauriers, portant la mention "Refuser de pâtir, c'est refuser d'être couronné"***
Image à propos de laquelle Roger griffonne encore :

Conservez cette image, qui donne la formule de mes derniers mois^^.

Au verso d'une autre image il écrit encore :

J'ai le sourire et mon écriture s'affermit ... et cependant l'heure approche. N'est-ce pas merveilleux ? Revenez à Jésus.

Quelques jours après l'exécution, le père s'adresse à l'Ambassadeur¨ De Brinon qui n'a pas su sauver son fils^, mais pas pour exprimer la moindre plainte, ou émettre un mot de désespoir.
Au contraire, il remercie l'ambassadeur de ses efforts en faveur de son enfant, avec une dignité qui force l'admiration.


Au final, l'ambassadeur De Brinon ira aussi en prison à Fresnes, fin 44.
Il sera fusillé en 1947, au fort de Montrouge.







° Archives Nationales, Site de Pierrefitte, Cote 411AP/2
* Elle n'est pas couverte par le secret des archives familiales, car elle a déjà été publiée plusieurs fois dans la presse.
** L'Abbé Stock, aumônier allemand des prisons parisiennes.
*** Annotation du père.
les Allemands ne prenaient même pas en compte les demandes des services français, dès que le condamné était impliqué dans le moindre acte de rébellion, même le plus bénin
^^ Roger Pironneau est né le 9 Novembre 1920. Il a été condamné à mort pour faits de résistance par le tribunal militaire de Düsseldorf, renvoyé à Paris pour être exécuté, le 29 Juillet 1942 après 11 mois de détention à Fresnes. 
¨ Cette lettre là en revanche est probablement couverte par le secret des archives familiales. 


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