Article de Nadia Geerts, "L'œil de Marianneke", paru dans Marianne du 20/12/2021
"Chers manifestants anti-passe sanitaire, où puîsez-vous toutes vos certitudes ?"
En Belgique, au lendemain de la mort d'un célèbre boxeur covido-sceptique, des milliers de manifestants ont défilé pour dénoncer au nom de la liberté, contre l’obligation vaccinale du personnel soignant et le passe sanitaire ont à nouveau défilé dans les rues de Bruxelles.
Frédéric Sinistra est mort ce samedi. C’était un boxeur, videur à la discothèque « Le Monastère » à Nandrin, dans la province belge de Liège. Il avait 40 ans, il était « covido-sceptique », non vacciné, et il est mort du Covid-19.
Concours de circonstances : le lendemain, des milliers de manifestants se sont rassemblés, pour la troisième fois en quelques semaines, et ont battu le pavé bruxellois ce dimanche pour protester, au nom de la liberté, contre l’obligation vaccinale du personnel soignant et contre le passe sanitaire – que nous appelons « covid safe ticket » ou « CST » pour éviter d’avoir à choisir entre nos langues nationales.
C’est à vous, manifestants, que je m’adresse aujourd’hui. Car je ne vous comprends pas, je dois bien le dire, et parfois vous me faites peur, à défiler avec des étoiles jaunes et à arborer des slogans qui semblent indiquer que vous vous prenez pour de valeureux résistants sous un pouvoir fasciste. Plus encore que vos comparaisons, ce sont vos certitudes qui m’effrayent.
Vous avez l’air tellement sûrs de vous. Sûrs que les médias nous mentent. Sûrs que les gouvernements cherchent à nous faire peur pour mieux nous contrôler. Sûrs que l’imposition du masque est scandaleusement liberticide. Sûrs que le passe sanitaire permettra de vous « tracer » et donc de connaître les moindre de vos faits et gestes, ce qui ne manquera pas de faire de vous les prochaines victimes de rafles, de procès politiques ou autres purges. Sûrs que les huiles essentielles, la vitamine B, l’exercice physique ou les oméga 3 sont souverains contre le coronavirus, qui n’est d’ailleurs qu’une petite grippe.
Je vous le demande : où puisez-vous toutes vos certitudes ?
Moi, je n’en ai aucune, si ce n’est celle que je n’ai pas les compétences requises pour pouvoir juger du bien-fondé des mesures sanitaires qui nous sont imposées. Je ne suis pas scientifique, encore moins médecin, virologue ou infectiologue. Je n’ai que mon bon sens à disposition, ainsi que le minimum de confiance nécessaire en nos institutions.
Ce sont ce bon sens et cette confiance – que vous appellerez sans doute « naïveté » – qui me font penser que non, toutes ces mesures ne sont pas le fruit d’esprits malades dont l’unique but est de prendre le contrôle de nos têtes et de nos corps. Ce sont ce bon sens et cette confiance qui me font penser que oui, les médias disent, si pas « la vérité », en tout cas quelque chose qui s’en approche, bien plus que vos slogans.
Vous me direz sans doute que vous aussi, vous vous informez. Que je devrais d’ailleurs le faire, moi aussi, auprès de sources « alternatives » et « indépendantes ». Mais ce faisant, vous confirmerez mon intuition : les sources « officielles », qu’elles soient politiques, scientifiques ou médiatiques, sont à vos yeux suspectes, et pire : disqualifiées d’avance. Tandis que les vôtres sont fiables, forcément. Pas un instant ne vous vient à l’esprit que si l’on n’invite pas sur les plateaux de télévision tel ou tel « expert » opposé à la vaccination, ce n’est pas parce que son discours « dérange », mais parce qu’il dit de monstrueuses conneries, et qu’il serait irresponsable de leur donner un écho.
Alors je sais bien : il y a des critiques à formuler, sur les politiques de santé menées ces dernières années notamment, et sur le fait que la gestion politique de cette crise, depuis bientôt deux ans, ressemble parfois à un gigantesque bricolage dans lequel on peine à trouver la cohérence.
Il n’empêche : je garde quant à moi la conviction qu’aujourd’hui, tous font ce qu’ils peuvent, à leur mesure, en fonction des connaissances qu’ils acquièrent sur le virus et ses variants, pour nous sortir de là au plus vite. Qu’en tout cas, je suis infiniment moins compétente qu’eux. Et que non, nous ne vivons pas en dictature, ni ne sommes collectivement manipulés.
Aussi, au-delà de vos manifestations, ce qui m’inquiète le plus, voyez-vous, c’est que vous êtes le révélateur d’une crise de confiance bien plus profonde, envers toutes les institutions représentatives de nos démocraties.
Comment nous relèverons-nous de ça, demain ?
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