Un article très intéressant du CNRS, par Jean-Paul Delahaye
Depuis la mise en marche du réseau Bitcoin en janvier 2009, les jetons émis par le réseau ont vu leur valeur exploser : de 0 dollar au départ, chaque jeton bitcoin a atteint près de 69 000$ en novembre 2021 avant de retomber aux alentours de 30 000$ deux mois plus tard. En plus de cette volatilité, qui pousse certains à ne voir dans le bitcoin qu’une bulle spéculative, un autre grave défaut affecte ce réseau : la consommation d’énergie énorme que son fonctionnement requiert. Une consommation absurde que l’on peut aujourd’hui considérer comme une erreur de conception qu’ont su régler d’autres cryptoactifs qui s’imposent peu à peu sous les noms de Solana, Cardano, Polkadot, etc. Toutefois, si près de quinze mille cryptomonnaies sont nées dans le sillon du bitcoin, celui-ci reste prédominant avec une capitalisation oscillant autour de mille milliards de dollars, représentant environ 40 % de la capitalisation de tous les cryptoactifs.
Mines de charbon numérique
Comment fonctionne une cryptomonnaie et pourquoi peut-on parler d’erreur au cœur de Bitcoin ? Le réseau Bitcoin a été conçu par une ou plusieurs personnes agissant sous pseudonyme de Satoshi Nakamoto, mais dont aujourd’hui encore on ignore la véritable identité. L’émission et la circulation des jetons d’une cryptomonnaie sont opérées par un réseau d’ordinateurs appelés « validateurs » qui fonctionnent en pair-à-pair, de manière décentralisée. Chaque ordinateur du réseau détient une copie d’un énorme fichier appelé « blockchain » (chaîne de blocs en français), un livre de compte qui enregistre au fur et à mesure tous les déplacements de jetons de compte en compte. Pour encourager les ordinateurs qui participent à cette gestion du réseau, une incitation est distribuée périodiquement à ceux qui valident et ajoutent à la blockchain de nouveaux blocs de transactions.
Dans le cas de Bitcoin, un bloc de transactions est ajouté à la blockchain toutes les dix minutes, et les bitcoins nouvellement créés (6,25 aujourd’hui) sont attribués au mineur qui a proposé le bloc, bloc qui est validé par les autres validateurs. La désignation du validateur gagnant s’effectue par la méthode de la preuve de travail (proof of work, POW). Ici, la preuve s’appuie sur un concours de calcul brut, appelé minage. Les validateurs (ou mineurs) du réseau doivent résoudre une énigme de nature combinatoire ; le premier à la résoudre « gagne » les jetons créés. Le problème posé, renouvelé toutes les dix minutes, exige des participants qu’ils calculent une certaine fonction : plus un validateur est capable de la calculer rapidement, plus il a des chances de gagner à chaque distribution de l’incitation. Disposer par exemple de 5 % de la puissance totale du réseau donne 5 % de chances de gagner chaque concours. La preuve de travail crée donc une concurrence entre les validateurs qui les a amenés à recourir à des puces spécialisées et à dépenser de plus en plus d’électricité pour les faire fonctionner.
Or toute cette énergie investie dans la fabrication et surtout le fonctionnement de ces machines spécialisées ne sert à rien d’autre qu’à la désignation du validateur qui reçoit l’incitation. L’électricité utilisée pour gérer les transactions sur le réseau est devenue progressivement négligeable comparée à celle utilisée pour le concours de calcul. Il a été évalué que le rapport entre les deux est au moins de 1 à 1 000.
De la preuve de travail à la preuve d'enjeu
D’autres blockchains ont pourtant déployé une nouvelle méthode bien moins énergivore de choix du validateur chargé d’ajouter un bloc : la preuve d’enjeu (proof of stake, POS). Avec la POS, chaque validateur dépose en gage une somme d’argent (des jetons de la cryptomonnaie considérée) et sa probabilité de gagner l’incitation à chaque distribution est proportionnelle au montant de ce dépôt. Cette mise en gage peut être retirée à n’importe quel instant, comme de l’argent placé sur un compte d’épargne. La preuve d’enjeu est une sorte preuve de travail où l’on récupérerait l’investissement consenti pour participer, alors qu’il est perdu dans la preuve de travail. Dans les deux cas, le système favorise ceux qui disposent de moyens importants pour s’engager, mais c’est quelque chose d’inévitable pour se prémunir des attaques basées sur la création en masse de fausses identités. Il est important de noter que l’essentiel de l’électricité dépensée par un réseau utilisant la preuve de travail n’est pas utilisé pour les échanges et les contrôles des validateurs, mais pour le concours de calcul du réseau.
D’année en année, les investissements et dépenses consentis par les mineurs Bitcoin pour participer au concours de calcul ont pris des proportions à la mesure du cours du jeton bitcoin qui, par exemple, a été multiplié par plus de 500 entre 2013 et 2022. La dépense électrique des mineurs Bitcoin peut se calculer de plusieurs façons. On distingue la « valeur minimale » de cette dépense qu’on calcule en se basant sur les hypothèses de consommation les plus favorables, et la « valeur estimée » qui se base sur les dépenses présumées des usines de minage. La valeur minimale de la dépense du réseau Bitcoin atteint ainsi aujourd’hui 50 TWh par an, c’est-à-dire l’équivalent de ce que produisent six réacteurs nucléaires de puissance moyenne, ou 10 % de la production électrique française. La valeur estimée est de deux à quatre fois supérieure.
Interdire le bitcoin ?
La plupart des spécialistes estiment que la sécurisation donnée par la preuve d’enjeu est équivalente à celle donnée par la preuve de travail : de fait, pour l’instant, aucune cryptomonnaie fonctionnant avec une preuve d’enjeu n’a jamais été victime d’une attaque réussie, malgré les centaines de milliards d’euros qu’elles capitalisent. Ce qui amène à une conclusion : la preuve de travail est une erreur de conception.
C’est uniquement le soutien et un certain lobbying des détenteurs de cryptomonnaies fonctionnant avec la preuve de travail qui permet leur survie. Leurs cours élevés entretiennent l’absurde gâchis et même l’encouragent. Deux solutions sont alors possibles. La première est d’interdire toutes les cryptomonnaies comme l’a fait la Chine en 2021, ce qui a mis fin au minage en Chine, mais a malheureusement eu aussi pour conséquence de l’encourager ailleurs et en particulier aux États-Unis où il est devenu particulièrement rentable. La seconde solution, défendue par exemple par la Suède, qui voudrait qu’elle soit appliquée partout en Europe, est d’interdire l’utilisation de la preuve de travail qui est la cause unique de la folie électrique de certaines cryptomonnaies.
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