Tiré de "La Montagne" 21/12/2024
Pour la première fois en Creuse, ces agriculteurs ont fait le choix de "dédrainer" leurs prairies pour leur redonner vie
Désormais très réglementé, le drainage répondait, il y a 40 ans, à une problématique aujourd’hui balayée par d’autres, imposées notamment par le changement climatique.
Des prairies asséchées et appauvries
Largement déployé dans les années 1970-1990, le drainage a permis d’assécher des parcelles hydromorphes et zones humides par rapport à un besoin de production et à un type d’agriculture. « Et aujourd’hui, on se rend compte que ça a eu un impact sur les prairies », explique l’écologue, attaché au Contrat territorial Petite Creuse.
Tom Vierhout, propriétaire des lieux, a pu le mesurer. Quand il a acheté ces parcelles en 1988 pour s’installer en élevage laitier, elles étaient parcourues de drains installés par son prédécesseur quelques années plus tôt. Botaniste amateur, il a réalisé au fil des années un inventaire de toutes les espèces présentes. « Cette parcelle, les 20, 25 premières années, c’était très, très humide. C’était plein de joncs. Il y avait des orchidées, des œnanthes, se rappelle l’éleveur. Après, ça a commencé à sécher. »
À cet assèchement mécanique provoqué par le drainage s’est ajoutée l’action du changement climatique. Et peu à peu, dans ces prairies, il a observé une végétation devenue « un peu plus simple », avec « moins de diversité ». En parcourant les parcelles, on trouve quelques résidus de zones qui demeurent gorgées d’eau malgré le drainage, avec une végétation certes caractéristique des zones humides mais finalement assez « banale ». Pourtant, Tom Vierhout se souvient que poussaient ici des espèces « remarquables » qui ont désormais complètement disparu.
Ce qui n’est pas sans conséquence sur le rendement agricole. « L’objectif, pour un agriculteur, c’est d’avoir suffisamment de foin pour assurer l’alimentation des bêtes, mais il n’y a pas que la quantité qui est importante, il y a aussi la qualité. Plus une prairie va être diversifiée en graminées, en légumineuses, etc., plus les animaux vont pouvoir capter les différents oligo-éléments dont ils ont besoin pour être en bonne santé » souligne Julien Jemin. Cornelis Van Marle, qui produit du lait mais aussi du fromage, le confirme, « plus il y a d’espèces végétales, mieux c’est pour la santé des vaches ». Et pour le fromage qui « a plus de goût ! »
Depuis 2016, il loue ces parcelles avec sa compagne Danièle Manders. Et comme leur propriétaire, ils dressent le même constat. Outre la disparition de tout un pan de biodiversité, à laquelle le couple d’éleveurs est très sensible, ils observent des conséquences très concrètes à l’assèchement de ces parcelles.
Pour lui, l’équation est simple : certes, sur des parcelles humides qui ne sont pas drainées, il ne peut pas sortir ses vaches lorsqu’il pleut mais pendant les sécheresses, il a à sa disposition de l’herbe et de l’eau. « C’est mieux, tu es plus régulier », argumente-t-il.
Avec Tom Vierhout, ils se sont interrogés sur la manière dont ils pourraient renverser cette tendance et se sont naturellement rapprochés du Conservatoire et du Syndicat mixte du bassin de la Petite Creuse. « On leur a demandé si on pouvait dédrainer, s’ils avaient des solutions. Ils nous ont dit oui », sourit Cornelis Van Marle. L’envie tombe au bon moment, alors que ce type de projet est encouragé et accompagné, notamment par la Région qui a lancé, en janvier 2023, un appel à projet sur les zones humides.
Dédrainer, « c’est une idée que j’ai depuis longtemps », confie Tom Vierhout.
L’exemple est flagrant sur ces parcelles en dévers où l’écoulement de l’eau se fait naturellement en contrebas. « Le principe du drainage, c’est d’accélérer cet écoulement. En dédrainant, on va tout simplement le ralentir de fait », schématise Julien Lemesle, technicien coordinateur du SMBPC.
Ralentir l'eau et mieux la redistribuer
L’ancien éleveur a bien saisi que l’enjeu, face au changement climatique qui accentue les sécheresses et les épisodes diluviens, c’est désormais de ralentir le parcours de l’eau et de la stocker de manière qu’elle ne s’évapore pas.
« Plus on réfléchit à ce que l’on fait, plus on se rend compte qu’ici, c’est le sol qui peut nous garder de l’eau. Ce n’est pas forcément entré dans les mœurs parce qu’on donne toujours l’image du plan d’eau comme réserve mais on sait qu’un plan d’eau, ça évapore énormément contrairement à une zone humide, qui va conserver de l’eau dans le sol. »Julien Lemesle (technicien coordinateur du Syndicat mixte du bassin de la Petite Creuse)
Tout l’intérêt de ce projet, c’est qu’« il est impulsé par le monde agricole, par des agriculteurs et agricultrices qui réfléchissent différemment à leur utilisation du territoire, des milieux et à la fonctionnalité des zones humides », ajoute Julien Jemin. Le CEN accompagnera l’éleveur sur des modalités techniques pour exploiter ces parcelles, les gérer, les faire pâturer tout en tirant profit de ses caractéristiques retrouvées et de sa productivité fourragère.
Ce tout premier projet de dédrainage pourrait ouvrir la voie à d’autres. Il fait en tout cas déjà parler de lui. « On a eu des réactions épidermiques, sourit Julien Lemesle. On nous a dit “On s’est cassé les pieds à drainer et maintenant vous vous amusez à enlever !” Mais on n’a plus le même climat », rappelle-t-il encore une fois. Et la gestion de l’eau doit évoluer avec lui. C’est un tournant dont le monde agricole peut tirer parti.
Il sait que ce projet est attendu au tournant. « On a mis en place un important protocole “avant, pendant, après” pour expliquer ce que l’on fait, pourquoi on le fait, ce que ça donne, ce qui marche ou ce qui ne marche pas. » Il comprend notamment des mesures piézométriques journalières qui permettront de voir comment réagit la nappe d’eau dans le sol, si son niveau évolue à présent que les drains ont été retirés.
Le recul historique et l’expertise botanique de Tom Vierhout viendront alimenter le suivi de l’évolution de la biodiversité des parcelles. « C’est un premier projet, qui est nouveau évidemment mais je pense que ce ne sera pas le dernier », parie, confiant, Julien Jemin. « Il faut toujours qu’il y ait des personnes qui mettent le pied à l’étrier sur des initiatives un peu innovantes, des fois un peu farfelues, mais l’intérêt c’est d’essayer des choses. »
« Sur un sol qui n’est plus drainé, j’espère voir plus d’herbe pendant la sécheresse », projette déjà Cornelis Van Marle, en balayant du regard les zones devenues méconnaissables ces dernières années. « Vous voyez ici, il y a beaucoup de mousse, ça, c’est encore un résultat des sécheresses des dernières années », repère l’éleveur qui souhaite mener ce projet d’abord par conviction personnelle.
Une exploitation agricole résiliente, c’est aujourd’hui une exploitation qui recoupe « une mosaïque de paysages », à la fois des milieux boisés, des haies, des prairies séchantes, des prairies plus humides, « ce qui répond à la sécheresse mais aussi l’excès d’eau. C’est comme ça qu’on arrivera à faire face à ce changement climatique ».
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