jeudi 22 février 2018

B ou V ou le Bêtacisme


Tous les hispanisants, les latinistes, italianisants, tous les hébraïsants, et tous les résidents d’Occitanie parmi les lecteurs de Nautre Monde ont été interpelés par la forme de confusion qui règne parfois entre les lettres « B » et « V », dans ces langues qu’ils utilisent au quotidien.

Et ceux qui maitrisent plusieurs des langues mentionnées ci-dessus, n’ont pas manqué d’être intrigués du fait que cette bizarrerie en soit commune, avec des manifestations différentes, bien que ces langues n’entretiennent que des liens distants entre elles, en apparence.

Cette bizarrerie est connue et a été précisément étudiée dans ses origines, ses causes, et ses manifestations. Elle s’appelle « bêtacisme », nom formé à partir de la lettre Beta du grec.
Et ce, bien que le grec ne soit pas la première langue qui a manifesté cette bizarrerie.

Le bêtacisme peut désigner plusieurs manifestations différentes, mais apparentées, selon l’époque et le lieu que l’on considère [dites « en synchronie ou en diachronie » pour faire chic en soirée].

- En Hébreu, depuis toujours, bien que la fixation formelle s’en soit faite seulement à la période massorétique (1er siècle avant notre ère), et encore aujourd’hui, les sons « b » et « v » peuvent être tous les deux obtenus de la 2ème lettre de l’alpha-bet, le « bet » justement. Pour obtenir un son « v » à partir de la lettre bet, il suffit de lui enlever le point « . » qui figure au milieu de la lettre.


Ce point « . », qui s’appelle Dagesh en hébreu, appartient à la catégorie des signes diacritiques, selon les savants.
Noter que :
  • la forme carrée du Bet représente une maison, avec son ouverture, car la lettre est encore très proche du signe hiéroglyphique égyptien dont elle émane. On le sait car encore aujourd'hui, maison se dit ... ba-it.
  • pour ajouter à la complexité, le son « v »  peut également être obtenu d’une autre lettre, le Vav, un peu plus loin dans l’alphabet. Cette lettre Vav  peut également se prononcer « ou » (ainsi que « o »),  encore une fois selon certains signes diacritiques dont elle est décorable (à côté ou dessus).

En grec : Le phénomène touche également le grec, la modification phonétique du b en v est d'ailleurs caractéristique de l'évolution du grec ancien vers le grec moderne : la prononciation de la lettre β, bêta en grec ancien, est devenue « vita » en grec moderne.

En latin, à l’époque classique, mais dans les couches populaires, on a tendance à transformer le son du « b » en un son « v », sans ajout de signe diacritique, ou autre technique. C'est un cas particulier de lénition (du latin lenis « doux », adoucissement, qui a donné « lenient » en anglais, ou lénifiant en français).
Deux complexités supplémentaires en latin  :
  • Le « v » ne se prononçait pas « v » comme en français moderne, mais se prononçait en diphtongue « oué ». Asterix aurait dit « ahoué ka-yssar », s’il avait eu à saluer le grand Jules. En fait, c’est dingue mais le latin ne connaissait pas notre son « v » présent.
  • la lettre « v » était confondue à la graphie, avec la lettre « u ». « u » qui se prononçait d’ailleurs « ou » … comme en Hébreu. 
Le bêtacisme latin est un phénomène suffisamment ancien pour apparaitre dans l'épigraphie. Les inscriptions trouvées dans la péninsule ibérique fournissent un très grand nombre d'exemples de mots écrits avec un B là où l'orthographe classique comporte normalement un V et par exemple :
QUI BIXIT au lieu de vixit (« qui vécut »)
SINE BILE au lieu de vile (« sans défaut »)


Le fameux SPQR cher à Astérix

La majorité des langues romanes ont construit une confusion totale des deux anciens phonèmes latins, et en conséquence, la distinction de B et V dans l'orthographe n’était plus nécessaire, puisque les sons en sont communs.

La cause véritable de ces changements est discutée, mais double, pour tenir compte du double mouvement : Adoucissement du b et durcissement du v.


  • La lénition ou adoucissement du b en v est une évolution phonétique banale qui commence avec le latin et fut menée à terme dans toutes les langues romanes, sans exception.
  • le durcissement du v latin en b à l'initiale des mots, là où le phénomène est marqué,  sont (peut-être) spécifiques à ces régions : Les spécialistes vont en chercher les raisons dans les langues pré-romaines de ces régions : basque et ibère (langue morte parlée dans l'est de la péninsule ibérique avant la romanisation).Mais cette 2ème explication n’est probablement pas suffisante, puisque le phénomène se manifeste également en dehors des aires d’influence du basque et de l’ibère.
Le français n'a pas été vraiment touché par ce phénomène. Seul l'étymon de certains mots dénote le bêtacisme : vervex pour brebis par exemple.
On en trouve également trace dans la paléographie romane, entre le 14ème et le 17ème siècle : Un v s'écrit comme un b comme dans cet exemple tiré d'un acte d'état civil de Gray (Haute-Saône) de 1614 :

Antoine velu, et non bolu ...

Quelle histoire ... 



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