jeudi 7 juin 2018

Une feuille de papier

Si la feuille de papier, comme support d'écriture ou d'impression est devenue banale, il n'en n'a pas toujours été ainsi.

Quand on remonte au 13ème siècle et avant, le support d'écriture privilégié est le parchemin, c'est à dire une peau d'animal (le mouton et le veau en priorité) traitée mécaniquement et chimiquement pour devenir support d'écriture.

Un parchemin obtenu en cousant des peaux animales ensemble

Ce sont les Italiens qui ont développé les premiers l'industrie papetière en Europe, puis la ville de Troyes s'en est fait une spécialité, pour le royaume de France et pour ses provinces : En 1470 Troyes compte 9 papeteries.
Ces fabriques ont des marques identifiables par leur filigrane, une petite grille métallique prenant une forme reconnaissable, imprimée dans la pâte à papier, au moment de son séchage.

Un filigrane vu par transparence.
Les lignes horizontales sont les marques des fils de laiton
destinés à rigidifier le cadre de séchage de la feuille
appelées "vergeures"

Et le papier est un article de grand commerce au XVème siècle déjà : On trouve les filigranes troyens à travers tout le royaume. Car le papier voyage bien, il n'est pas trop lourd et pas trop périssable, il supporte bien les vicissitudes du grand chemin.

Mais le papier reste un article coûteux, inaccessible au commun, qui ne sait ni lire ni écrire de toutes façons. Patrice Beck, dans son livre sur "les cherches de feux bourguignonnes (1285-1483)" rapporte que :
- en 1397, 3 cahiers de petit format sont vendus 3 sous 9 deniers.
- en 1398, 6 cahiers de petit format sont vendus 7 sous 6 deniers.


Ce cahier, qui est à peu près de forme A4 actuelle, compte en général 22 feuilles, soit 88 pages.

Par comparaison, le parchemin est beaucoup plus coûteux encore :
- en 1367 : La feuille de parchemin (prise par 12) se paye 16 deniers à Paris
- en 1371 A Dijon : 25 deniers.
- en 1372 "Peau de veel" : 30 deniers.
La "peau de veel" ou velin est un parchemin obtenu à partir de la peau d'un veau mort-né. Car le parchemin n'a pas complètement disparu, à l'époque du papier : il sert souvent de couverture à un cahier de papier, en raison de sa grande solidité. 


On gardera cette habitude longtemps en France. Par exemple, ce registre d'état-civil de la ville de Gray (70) du 17ème siècle est protégé (tant bien que mal) par un vieux parchemin enluminé de lettrines, beaucoup plus ancien :


Etat-Civil Gray (70) XVIIème 

P
our rappel, un sou ou sol vaut 12 deniers. Et il faut 20 sous pour faire une livre. Une livre vaut donc 12x20 = 240 deniers. A l'origine une livre correspondait vraiment à une livre d'argent métal.
C'est Charlemagne qui a mis ce système en oeuvre au 9ème siècle, et ces unités perdureront jusqu'à la Révolution, avec des variantes régionales, dont les plus connues sont la tournois (de Tours) et la parisis (de Paris).


Le cahier de papier de 88 pages coûte donc environ 15 deniers pièce.
Mais que représente cette somme à l'époque ?

La seule méthode disponible pour se projeter à l'époque, et répondre à cette question est de prendre une comparaison : cette somme de 15 deniers représente l'équivalent du salaire journalier d'un ouvrier du bâtiment.

Le papier est donc un objet de luxe, puisque le cahier de 88 pages vaut environ 400 Euros d'aujourd'hui.

Mais cette démarche de comparaison a une limite majeure : la société de l'époque était organisée de manière très différente, et pas plus que le Français moyen n'écrivait sur un cahier, il ne faisait pas appel à des ouvriers du bâtiment.
Il n'avait les moyens ni pour l'un ni pour l'autre, tout occupé qu'il était à essayer de survivre par son travail.


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