vendredi 1 juin 2018

Franciscus

Voilà longtemps que je cherche l'origine de mon ancêtre Franciscus Gazet, à Chaumercenne (Haute-Saône) en 1691.

Cette question « Mais d’où vient Franciscus ? » m’a longtemps taraudé.


Je m'en faisais déjà l'écho dans ces colonnes en 2015.

A travers la France de Louis XIV

J’ai étudié des pistes dans tous les coins de France :
- En Savoie, où le nom Gazet est fréquent, et où les Savoyards ont migré en nombre après la Guerre de 10 ans, vers la Comté de Bourgogne (Depuis Cruet spécifiquement, et le Faucigny). On les appelle sur place les "sabaudia".
- Au Duché de Bourgogne (qualifié de « en France » dans les actes de la Comté), notamment de Saône et Loire, du Brionnais, où de manière avérée, des « Gaget » ont donné des « Gazet ».
- Ou même en Lorraine.


Je n’ai pas été aidé par le fait que les départements Doubs et Jura, d’où Franciscus aurait pu venir, n’ont toujours pas numérisé leur état-civil (du moins en totalité).

Mais peut-être est-il simplement un gars du coin ?

Apparition
Franciscus surgit brutalement à l'Etat-Civil de Chaumercenne (70) en 1691.Franciscus fait là une palanquée d’enfants (10 au total, de 1691 à 1709) à une femme du cru, une certaine Petra Buchez, d’une famille bien implantée localement :


10 enfants Gazet à Chaumercenne entre 1691 et 1709
[Nous descendons tous de Bartholomeo, le petit dernier]

Sur un plan rédactionnel, le nom « Gazet » pose des tas de problèmes au curé local, comme dans cet acte de naissance de la 1ère fille, Claudia, en 1691 :


[BMS Chaumercenne 1691 Page 26-182]

La cause de cette difficulté pour le curé est double :
- Il ne connait pas le nom de famille « Gazet », et
- il y a, par un malencontreux hasard, à Chaumercenne un paroissien appelé « Franciscus Gachot », dans une famille bien connue.


Au décès
Franciscus s’endormira ensuite dans la paix de l’Eternel, « reddit animam Deo», en 1724, à l’âge assez élevé de 66 ans (sexagesima sexto). Il sera enterré au cimetière de Chaumercenne :




[BMS Chaumercenne 1724 Page 175-182]

Cette information de 66 ans au moment du décès, aussi imprécise soit-elle (« circiter »), me donne une indication sur sa date de naissance : aux alentours de 1658 …
Curieusement, Franciscus aurait donc commencé tard pour avoir  ses enfants : 33 ans pour le premier, et 51 ans pour le dernier, le petit Barthélémy ?
Tout aussi curieux, son épouse Petra aurait autour de 15 ans au mariage, ce qui est très jeune (son acte de décès la stipule née vers 1675, je n’ai pas l’acte de naissance).

Et un mariage avec une telle différence d’âge aurait été l’occasion d’un charivari d’anthologie à Chaumercenne, surtout pour un gars étranger au village, qui vient prendre ainsi une fille de notable.

Et puis
Et puis je suis tombé sur la piste « Goiset ».
J’ai été mis sur cette piste par le grand recensement de 1657, qui mentionne un Franciscus Goiset, manouvrier marié  dans « ceux qui ne sont [pas] du lieu » à Fleurey Les Lavoncourt (70) :
Grand Recensement de Franche-Comté de 1657

Un François Goiset y est manouvrier en 1657, déjà marié (il compte pour 2) mais sans enfants encore. Une rapide recherche dans Genenet dirige mes recherches vers Autet, à 15 kms au sud de Fleurey, où des « Goiset » ont fait souche. Certains de leurs jeunes s’exilent visiblement comme manouvriers dans les communes alentour, sans doute par défaut de terre à cultiver en propre.

Franciscus Goiset est donc une piste sérieuse.
Mais ce François Goiset, manouvrier marié en 1657, sera trop vieux dans 35 ans pour aller faire des enfants à Chaumercenne. Il me faut donc avancer dans le temps, d’une génération. 

C’est aisé à faire en Franche Comté à cette époque : les garçons y prennent le prénom de leur parrain, et les filles celui de leur marraine.

Le filleul Franciscus
Franciscus Goiset a bien un filleul en 1672 … un certain Franciscus Goiset. C'est son neveu, le fils de son frère Claude :



[BMS Autet 1672, page 26-66]

Noter qu’il n’y a pas d’ « Obit » à côté de l’acte de baptême : L’enfant a donc survécu au sevrage. Le jeune Franciscus va donc vivre et grandir à Autet.

Mais sa vie ne sera pas facile du tout :

Il perdra son père Claude Goiset, décédé 2 ans plus tard en 1674, à 30 ans.
Sa mère, Claudine Tabouret, devenue veuve, se remariera en 1677 avec un certain Claudius Limasset.
Elle n’a pas le choix, avec 2 enfants en bas-âge : Anthoine qui a 8 ans, et Franciscus de 5 ans (2 autres enfants nés du mariage avec Claude Goiset sont morts en bas-âge).

Les 2 frères seront donc élevés par un beau-père Limasset, au milieu de 5 autres demi-frères et soeurs qui viendront avec les années.

Pas gagné pour avoir des terres plus tard, 
dans ce pays de misère, ravagé par la guerre.

Proximités
Les choses ne seront pas faciles non plus pour son oncle et parrain Franciscus Goiset l’Ainé :
Il perdra 2 épouses en couches, et se mariera 3 fois, la 3ème fois avec une certaine Johanna Claudia Desens, en 1682 :



[BMS Autet 1682 Page 67-131]

Sur les 12 enfants qu’il engendrera avec ses 3 épouses, il en perdra 7.
Le parrain et le filleul ont été rapprochés par ces pertes de proches, et c’est le rôle canonique du parrain de devenir père de remplacement.
Le filleul a également été proche de sa tante, la 3ème épouse de son parrain, cette Joanna Claudia Desens.
Ce patronyme « Desens » rattache clairement à la ville de Sens au Duché de Bourgogne, dont l’ancêtre éponyme devait venir. Mais cette origine s’est perdue à l’époque déjà, et la famille de Sens est dite « de Prantigny » dans les actes (Prantigny -70).


Une jeunesse à Autet
Je n’ai pas d’information sur la manière dont se passe la jeunesse de Franciscus, hormis au travers du filtre très parcellaire de l’Etat Civil. Impossible de savoir par exemple la nature des relations à son beau-père Limasset.
Mais le jeune Franciscus s’implique dans la vie de sa paroisse : Il est souvent parrain lui-même, dès ses 10 ans, de 1682 et 1685. Notamment d’ailleurs d’un demi-frère Franciscus Limasset à lui, en 1684.




[BMS Autet 1682 Page 67-131]


1685 : Disparition
Puis en 1685 disparaissent les marques.
Plus aucune occurrence de Franciscus le Jeune à l'état civil d'Autet.
Et Geneanet, dans lequel la famille Goiset d’Autet est bien étudiée, ne connait pas de mariage ni de descendance pour Franciscus Goiset.


Donc, très probablement, le jeune Franciscus, puisqu'il n'est pas mort (a priori), et qu'il n'a pas fait d'enfants sur place, s'est déplacé.


Un Mariage à Chaumercenne
Je fais pour ma part l’hypothèse que le jeune Franciscus Goiset se déplace de 25 kms vers le sud, pour se marier à Chaumercenne, probablement en 1690.

Et que son nom Goiset y est difficilement entendu « Gazet » par le curé.
Je ne peux pas le prouver par l’acte correspondant, car les mariages sont lacunaires à Chaumercenne dans les années 1650-1700.


Le problème de l’âge au décès
Autant un Franciscus né en 1658 aurait été vieux au mariage, autant je suis interpelé par l’âge précoce de ce mariage d'un Franciscus né finalement en 1672 (18 ans pour Franciscus, et autour de 15 ans pour son épouse Petra).

C’est très inhabituel, les mariages étant plutôt contractés autour de 25 ans à cette époque. Je suppose que la vie chez son beau-père Limasset l’a poussé à voler de ses propres ailes rapidement. 
Et l’impossibilité pour lui dans une famille ainsi recomposée d’accéder à de la terre en propre, l’ont probablement motivé à s’installer au village de son épouse. Car c’est très inhabituel également : D’habitude, le couple se marie au pays de l’épouse, mais s’installe ensuite au pays de l’époux.

La preuve toutefois ?
La preuve raisonnable de l’identification Goiset-Gazet, c’est que la marraine de Claudia, la 1ère fille qui naitra de cette union, n’est autre que Claudia Desens, la tante de Franciscus, la 3ème femme de son parrain.


[BMS Chaumercenne 1691 Page 26-182]

Il est classique en Franche-Comté (mais non systématique) de prendre en parrain-marraine du 1er enfant né du nouveau couple, la nouvelle grand-mère ou nouveau grand-père, père ou mère d’un des époux.
C’est comme ça que le prénom du grand-père ou de la grand-mère revient une génération sur 2.
Il est donc révélateur que Franciscus [le Jeune] confie ce rôle à sa tante Claudia Desens, qui devait avoir pris, au côté de son parrain Franciscus [l’Ainé], son mari, le rôle d’une mère de remplacement.


Conclusion
Etes-vous convaincus par mon assimilation ? Pensez-vous comme moi que l'on peut dire que Franciscus Goiset né à Autet en 1672, est mort sous le nom de Franciscus Gazet à Chaumercenne, en 1724 ?

J’ai mis toutes les étapes de cette histoire compliquée sur une carte :











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